La couronne de feu
interrogée : et si les menaces dont on la harcelait étaient bien réelles ? et si elle allait se trouver devant ce choix impossible : renier ses convictions ou monter sur le bûcher ? et si elle mourait dans l’erreur ?
Elle se demande pourquoi ceux qui, ayant cru en elle, ont suivi son étoile, l’ont assistée dans sa brève équipée, s’abstiennent de lui venir en aide alors qu’elle se trouve en danger de mort. Elle aurait pourtant été en droit d’attendre du secours du roi, de Madame Yolande et même de monseigneur Regnault. Au premier elle a donné un trône, à la seconde la sécurité sur ses domaines ligériens ; elle a restitué au troisième son siège d’archevêque. Et personne ne bouge, pas même ces clercs de l’Université de Poitiers qui ont écrit dans leur grand livre la confiance qu’elle leur inspirait. Non, personne ! À moins qu’on ne lui ait caché, coupée du monde comme elle l’est, certaines démarches pour la faire libérer par la voie de la négociation ou par la force des armes. Seuls ses compagnons, peut-être, mais ils ont échoué. Et maintenant il est trop tard.
En abordant le terme du procès elle se sent plus lasse que jamais. Lasse et brisée. Pour l’abattre en toute légalité ses juges ont usé de tous les moyens, de tous les subterfuges : torture morale et physique, intimidation, menace, fausses promesses. Elle a tenu bon, mais aujourd’hui il semble que toute son énergie l’ait abandonnée.
Elle se souvient de ce qu’elle a dit à Beaupère : que peut-être elle se soumettrait. Une parole maladroite qui lui a échappé et qu’elle regrette. Se soumettre ? Cette hypothèse est en contradiction avec sa foi, mais qui pourrait dire que, devant le bûcher, il ne trahirait pas son père, sa mère, sa mission terrestre ?
Le manchot a dû rapporter ce propos au tribunal. En la devinant sur la pente de la soumission, ses juges vont s’acharner sur elle avec plus de malice et de violence pour hâter son abjuration. Elle en a d’avance des nausées.
Jeanne, après son rêve de feu, n’a pu se rendormir. La visite qu’elle attendait : celle de ses frères du Paradis, ne s’est pas produite. Le seul visiteur qui se soit présenté à elle, alors que le premier soleil dessinait une croix dans l’archère, c’est John Berwoit.
Il s’agenouille près d’elle, balbutie :
– Ma petite Jeanne, mon enfant, j’ai le coeur brisé. Tu m’as bien jugé si tu m’as pris pour un mauvais homme, un paillard, un brigand, mais, devant Dieu, je jure que j’aimerais qu’un miracle se produise, que tu échappes au sort qui t’attend. Pour la première fois depuis des années j’ai prié pour ton salut, et j’enrage de ne pouvoir rien faire pour toi ! Quand je te vois entourée de ces renards et de ces loups, l’envie me prend de leur sauter à la gorge !
– Je te crois, fit Jeanne avec un mince sourire. Lorsque Dieu me rappellera à lui je dirai moi aussi une prière pour toi. Viendras-tu assister à mon supplice ?
– Je ne pourrai pas, Jeanne, répond le vieux soldat avec des larmes dans la voix. Pardonne-moi, ma Jeanne ; même si l’on m’y force, je ne pourrai pas...
L’averse de la nuit a fait place à un ciel couvert et à un temps lourd, avec de persistantes senteurs nocturnes venues de la colline de Bouvreuil. De la Seine encore tapissée de brouillards tenaces monte le son aigre des cornes de brume.
Lorsque Massieu vient chercher Jeanne elle lui demande s’il va la conduire au bourreau. Il bougonne : si tant est que le tribunal l’ait décidé, on n’en est pas encore à une telle extrémité.
– En revanche, tu vas vivre des heures pénibles. Cette dernière confrontation avec le tribunal se déroulera en public, dans le cimetière de Saint-Ouen, devant l’église. J’ai entendu dire qu’on allait te sommer une dernière fois d’abjurer. Il faudra bien réfléchir avant de répondre. Pense que ta vie est en jeu.
Il ajoute :
– Une de mes nièces, une adolescente, s’est prise pour toi d’une vive sympathie et même d’affection. Elle m’a confié une médaille en me demandant de te la faire toucher. Sa mère, c’est son chapelet. Je désapprouve ces pratiques idolâtres mais je n’ai pu refuser.
– Je les réprouve moi-même, maître Massieu, mais je sais que vous ne me trahirez pas.
En passant devant la chapelle Saint-Gilles elle a demandé la permission de s’agenouiller devant la porte pour une brève prière.
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