La dame de Montsalvy
était l'un des diplomates et des hommes de gouvernement les plus habiles et les plus intelligents... mais les exemples étaient rares où il avait laissé sa diplomatie l'emporter sur sa rancune : le roi de France l'avait appris à ses dépens durant de longues et cruelles années.
Lorsque la Grande Dame revint, elle trouva Catherine prête, revêtue de la robe monastique contenue dans le paquet et debout près de la porte qu'elle tenait entrouverte pour que l'on n'eût pas à frapper. Il faisait très sombre et aucune lumière n'était visible. Silencieusement, dame Béatrice saisit la main de Catherine et toutes deux s'élancèrent à travers l'enclos sous le couvert des arbres. Un vent vif s'était levé, bien après minuit, et agitait les cimes feuillues avec de grands froissements qui étouffaient le bruit des pas. Ils étouffèrent également le léger grincement de la porte quand elle s'ouvrit sous la main de la Grande Dame, et Catherine se retrouva dehors.
— Allez avec Dieu, ma fille, chuchota dame Béatrice en l'embrassant.
Puis elle se glissa de nouveau dans l'entrebâillement du portail et disparut sans avoir seulement laissé à celle qu'elle libérait le temps d'une seule parole d'adieu. Mais déjà des ombres montaient de sous le pont dormant et Catherine se retrouva soudain dans trois paires de bras masculins dont la chaleur et l'enthousiasme disaient assez la joie que l'on avait de la retrouver.
— Sans mentir, soupira Gauthier, ce mois que nous venons de passer sans vous a été le plus long de toute ma vie, dame Catherine...
Le mercredi de Pentecôte se leva venteux comme en novembre.
Les lambeaux de nuages gris traversaient en rafales le ciel orageux derrière les flèches des églises et l'immense tour du beffroi. De temps en temps, une ondée passait, emportée par les ailes du vent et les cloches, sonnant les heures canoniales du jour, résonnaient avec une mélancolie profonde. Aussi Catherine en quittant le couvent avec ses trois compagnons se disait-elle que ce n'était guère un temps de réjouissances et que ce qui se préparait n'avait que fort peu de rapports avec les fastes habituels d'une entrée princière.
Certes, il ne s'agissait que de la traversée de Bruges et il était convenu de recevoir le prince à l'hôtel de ville pour lui offrir présents et rafraîchissements mais de toute évidence personne à Bruges n'imaginait voir un sourire éclore sur le visage hautain de Philippe.
On se demandait plutôt ce qu'il allait dire...
Une foule énorme encombrait les rues et les quatre faux moines n'eurent aucune peine à s'y mêler. Mais, comme au jour de son arrivée, Catherine fut frappée par le silence de cette foule. On n'entendait que paroles chuchotées, on ne voyait que visages soucieux ou insolents, tels ceux d'une troupe de bouchers qui bannière en tête et tranchets à la ceinture s'en allaient avec un air de défi au-devant du Maître si ardemment contesté. Quand ils passèrent près de Catherine, elle frissonna sous la bure déjà humide de sa robe. Depuis le jour de colère qui avait vu mourir Michel de Montsalvy et Gaucher Legoix, son propre père1, Catherine redoutait et détestait les bouchers. Elle leur trouvait l'air féroce et respirait toujours auprès d'eux une pénible odeur de sang frais...
Vers trois heures, on apprit que le Duc venait d'arriver au village de Saint-Michel. Ce fut le signal de se mettre en marche pour les notables, et à la suite de leur cortège on se dirigea vers la porte de la Bouverie. Catherine vit passer Louis Van de Walle, blême et les traits tirés sous son chaperon de fête. Son fils, les échevins rescapés et quelques chefs de corporations le suivaient, avec leurs insignes et leurs bannières. Devant lui marchait son beau-frère Vincent de Schotelaere, le capitaine de la ville et quelques-uns de ses soldats, tous armés.
Les faux moines suivirent le cortège mais s'arrêtèrent derrière les barrières de la porte de la Bouverie tandis que les notables franchissaient la porte, le grand pont jeté sur les larges douves et s'avançaient sur la route, courbant le dos sous les rafales de vent qui faisaient voler les lourdes robes, claquer les bannières et obligeaient à cramponner les coiffures. Au bout du chemin, on pouvait déjà apercevoir, sous la bannière de Bourgogne, un bloc luisant comme du mercure :
1 Voir II suffît d'un amour.
les premiers soldats de la garde personnelle du Duc avec, au-dessus d'eux, le
Weitere Kostenlose Bücher