La dame de Montsalvy
tremblaient, les posa de chaque côté de son visage.
—
Ma douce... mon incomparable ! T'aimer ? Mais je t'ai adorée toute ma vie et je ne cesserai jamais de t'aimer... Jamais ! Tant qu'il me restera une pensée, un souffle, je t'aimerai...
Au-dessus de ces deux êtres agenouillés une alouette passa, montant tout droit vers le ciel en chantant à perdre haleine le retour du soleil, tandis que les bras de Catherine, doucement, se refermaient autour de l'homme qu'elle était sûre, à présent, d'avoir conquis pour l'éternité. Ils allaient pouvoir reprendre ensemble le chemin qu'elle avait cru impossible, le chemin qui les mènerait à la sagesse, à la confiance, aux cheveux blancs aussi mais peut-être - pourquoi pas ? -
au simple bonheur quotidien... en admettant que les Montsalvy puissent être vraiment faits pour le simple bonheur quotidien !
Huit jours plus tard, Arnaud et Catherine serrés l'un contre l'autre regardaient brûler le logis de leur château. À travers les élégantes fenêtres lancéolées on pouvait voir les flammes bondir à l'assaut des plafonds et des murs, ronflant furieusement dans leur ardeur à effacer toute trace, non seulement de la peste mais encore, mais surtout, de l'esprit démoniaque qui, durant des mois, avait régné dans cette demeure.
Ainsi l'avait voulu le maître de Montsalvy :
— Il ne restera rien de ma folie ! Aucune boiserie, aucune tapisserie, aucun meuble souillé par des mains indignes ! Lorsqu'il n'y aura plus que les murs, alors nous reconstruirons mais, pour la vie que je veux mener désormais, pour ma femme et mes enfants, je veux tout recréer... tout refaire ! Alors seulement nous pourrons recommencer notre vie.
À présent, debout en face de cet autodafé, il le regardait s'accomplir avec un sentiment de délivrance, une joie nouvelle qui l'étonnait. Était-il donc si simple de faire table rase du passé ?
Contre son épaule, Catherine regardait aussi mais en dépit de son bonheur présent, un peu de regret pesait sur elle. Certes, son appartement avait été vidé de tout ce qu'il contenait, de tout ce que rien ni personne n'avait pu toucher, mais ce logis, ces meubles, ils avaient été son œuvre, son choix et elle ne les voyait pas partir en fumée sans un pincement au cœur.
Pour retrouver courage, elle appuya sa tête blonde contre le cou d'Arnaud qui, sentant peut-être ce regret, resserra son étreinte et posa un baiser sur son front.
— Il fallait que ce soit fait, ma douce ! Il y a des maux que l'on n'en finit pas de combattre, des fantômes qui chassent la paix du cœur si on écoute leur plainte. Je te rendrai tout ce que je t'enlève aujourd'hui. Mais surtout, je te rendrai tant d'amour que tu en viendras un jour à penser, quand nous serons vieux tous deux, que notre longue histoire, notre cruelle histoire ce n'était peut-être justement... qu'une histoire, un conte arrivé à d'autres, une légende née de l'imagination d'une aïeule !
Brusquement, la dame de Montsalvy se haussa sur la pointe des pieds pour mettre un baiser sur la joue blessée de son époux.
— Pourquoi dis-tu notre cruelle histoire ? Moi, je l'ai trouvée belle ! Et pourquoi en parles-tu au passé ? Sommes-nous si vieux ?
Es-tu bien sûr qu'elle soit finie ?...
Arnaud se mit à rire.
— Je l'espère ! Il faut qu'il en soit ainsi, même si parfois le regret des grands chemins te prend. Il le faut parce que les gens heureux n'ont pas d'histoire et qu'à présent je veux être heureux, entre toi et nos enfants. Je ne veux plus être qu'heureux !
Il l'entraîna, tournant avec décision le dos à l'incendie qui d'ailleurs s'apaisait. Derrière eux, il y avait les gens de Montsalvy, toute la ville massée comme un bouquet qui les accueillit d'une longue acclamation tandis que le premier vent d'automne se levait, balayant le haut plateau, emportant les premières feuilles qui bientôt prendraient toutes les teintes de l'or et de la pourpre avant de disparaître sous les neiges de l'hiver, cet hiver que les seigneurs de Montsalvy passeraient à la maison des hôtes du monastère tandis que l'on préparerait les plans du nouveau logis.
Au printemps, quand la terre enfanterait ses dons et que la nature réveillerait l'amour, tout refleurirait...
Saint-Mandé, 3 septembre 1978.
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