La dame de Montsalvy
furent en bas.
La cour du château ressemblait à une mer en furie. Les soldats du sire de Vandenesse qui étaient venus à la rescousse de Châteauvillain menacé mais dont les sorties, cependant vigoureuses, n'avaient pas réussi à desserrer la tenaille refermée autour de la ville, étaient en train d'enfourcher leurs chevaux avec une ardeur qui ressemblait à de la rage. Toute la cour sentait la graisse d'armes et le crottin de cheval.
Les hommes juraient, sacraient ou adressaient au ciel des vœux insensés s'il leur permettait de mettre enfin la main sur ce Damoiseau d'enfer !
Au milieu de cette agitation, Catherine aperçut le gigantesque hennin drapé de crêpe de son amie Ermengarde, voguant sur une houle d'hommes, de chevaux et de ferrailles comme un vaisseau aux voiles noires. Suivie de deux servantes armées de bonbonnes, la dame de Châteauvillain versait elle-même le coup de l'étrier aux soldats et ne leur ménageait ni le vin de Beaune, ni les encouragements ; sa voix tonnait comme celle d'une bombarde à l'assaut d'une ville.
— Ma meilleure métairie et un plein sac d'or à qui de vous, mes braves, m'apportera la tête du Damoiseau ! criait-elle. Allez ! Buvez !
On se bat mieux quand on a les idées gaies !....
Pour la première fois depuis son arrivée à Châteauvillain, Catherine sourit. Cette Ermengarde ! Le temps semblait n'avoir aucune prise sur elle ! Le fracas des armes lui faisait le même effet qu'un appel de trompette sur un vieux cheval de bataille. N'avait-il pas fallu, quelques jours auparavant, s'y mettre à quatre pour l'empêcher de revêtir l'armure de son ancêtre, Enguerrand le Fort, et d'aller défier elle-même Robert de Sarrebruck ? Et comme Catherine lui rappelait que ses jambes n'étaient plus d'âge à soutenir un combat, elle avait riposté :
— C'est le bras qui manie l'épée, pas la jambe ! Allez donc voir celles de mon cheval ! Elles soutiendraient la voûte d'une église !...
Néanmoins, elle avait finalement consenti à ne pas enfourcher ce vigoureux destrier et à s'en remettre au sire de Vandenesse du soin de mener l'attaque, laquelle d'ailleurs n'avait pas été plus fructueuse que les autres : les écorcheurs semblaient avoir planté leurs griffes dans Châteauvillain jusqu'à la consommation des siècles.
Comme Catherine, debout sur la dernière marche du perron, hésitait au bord de la cour houleuse comme au bord d'une mare, une voix murmura à son oreille :
— La comtesse offre une fortune pour la tête du Damoiseau, belle dame ! Me donnerez-vous un sourire... et peut-être un baiser si je vous l'apporte ?
Elle tressaillit, fronça les sourcils, désagréablement surprise comme chaque fois qu'elle approchait le seigneur de Vandenesse. Depuis qu'elle avait cherché refuge derrière les murs de Châteauvillain, il l'entourait d'une cour suffisamment discrète pour n'être pas gênante ; mais c'était son aspect physique qui déplaisait le plus à la jeune femme, à cause de cette ressemblance qu'il avait avec le duc de Bourgogne, ressemblance funeste et qui avait causé, entre elle- même et son époux, le drame du dernier jour'.
A dire vrai, pour qui connaissait bien Philippe le Bon, Vandenesse n'était pas, et de loin, un reflet fidèle. Il avait la même tournure, presque la même figure que le duc mais il y manquait ce grand air, à la fois affable et imposant qui rendait le prince inimitable, même sous la carapace de l'armure. Seuls ceux qui n'avaient jamais approché Philippe pouvaient s'y laisser prendre...
Elle regarda Vandenesse au fond des yeux.
— Je n'ai que faire, messire, de la tête du Damoiseau ! Seul m'importe le sort de mon époux... du seul homme ici-bas qui puisse réclamer de moi un baiser ! Je ne suis plus la dame de Brazey, baron2
! J'ai même oublié tout ce qui la concernait. En outre, je suis de celles pour qui votre ressemblance avec monseigneur le duc n'est pas évidente !...
— Elle me gêne autant que vous, Madame ! Aucun homme n'aime à être pris pour un autre ! Quant à la tête du Damoiseau, vous en ferez ce que vous voudrez si Dieu me l'accorde... et je me contenterai d'un sourire !
Voir Piège pour Catherine (Chez Pocket, ainsi que les autres titres du cycle).
1.
Garin de Brazey, le premier époux de Catherine, avait été exécuté pour 2.
rébellion contre le Duc. Voir 11 suffît d'u/i amour.
Il s'inclina, s'éloigna vers son cheval qu'un page tenait en bride tandis que Catherine, toujours suivie
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