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La Fausta

Titel: La Fausta Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Zévaco
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hommage royal ou religieux et, dans un geste d’indicible autorité, tendit le bras vers une large fenêtre ouverte. Le gentilhomme se redressa et porta sa main crispée à son cœur.
    — La place de Grève ! murmura-t-il, ô rêves tragiques de mes nuits, effroyables souvenirs de mes jours, il faut donc que je vous contemple face à face !
    L’inconnue [3] , alors, parla. Et aucune épithète ne pourrait traduire la force de pénétration de sa voix.
    — Cardinal, dit-elle, je viens de vous donner un ordre. Obéissez.
    Le cavalier frissonna ; et, simplement, comme s’il n’y eût rien eu dans ses paroles d’exorbitant, de stupéfiant, de fabuleux, oui, cet homme, à cette femme répondit :
    — J’obéis à Votre Sainteté…
    Votre Sainteté !… Comme au maître de la chrétienté ! Comme au souverain pontife !
    — Cardinal, reprit-elle sans un tressaillement, vous venez de prononcer un mot terrible. N’oubliez pas que si, dans Rome, je suis celle que vous dites, l’héritière de la souveraineté pontificale de Jeanne, la chevalière de la grande tradition… ici, dans Paris, je ne suis que la descendante de Lucrèce Borgia : la princesse Fausta !…
    Qu’était-ce donc que cette femme qui avait des gestes d’impératrice et parlait comme si elle eût porté la tiare sur sa tête superbe ! Fausta ?… Princesse Fausta ?…
    Quelle mystérieuse, quelle incroyable destinée s’abritait sous ce nom ?… Et pourquoi, avec une si majestueuse autorité d’accent, évoquait-elle le nom de sa terrible, prestigieuse et sombre aïeule… Lucrèce Borgia !… Borgia !… La toute-puissance, l’incarnation de la Terreur, le Meurtre fait homme !… Lucrèce !… L’amour et les délires de la débauche ! Les poisons et les baisers ! L’éclat livide d’un météore dans les fêtes tragiques où des hommes mouraient de son sourire !…
    Etait-ce donc toute cette puissance, toute cette terreur, tout ce prestige qui étaient venus se réincarner en cette femme ?… Peut-être !…
    Car le gentilhomme à qui elle donnait le titre de cardinal, bien qu’il ne portât pas l’habit religieux et fût armé d’une épée, cet homme qui pourtant semblait cuirassé par l’orgueil des vieilles races, dont les yeux s’illuminaient d’une magnifique intelligence et dont le front proclamait l’intrépide fierté, l’écouta comme la légende biblique nous montre Moïse écoutant la voix qui sortait des nuées du Sinaï. Et quand elle eut parlé, une inexprimable vénération le courba dans une attitude d’obéissance.
    Alors, avec une sorte de désespoir concentré, il marcha à la fenêtre, et glacé par une secrète horreur, s’y appuya, domina la place…
    C’était le lendemain de la journée des Barricades [4] . Et Paris qui venait de chasser son roi, Paris tout hérissé, Paris fumant encore des arquebusades de la veille, fêtait la violette et la rose ; car de tout temps, Paris adora l’émeute et les fleurs, grondement et sourire de sa rue. Ensoleillée, bruyante, la Grève, en cette radieuse matinée du grand marché annuel de mai, présentait un indescriptible mouvement de lignes et de couleurs, fouillis de promeneuses en atours, de mendiants en guenilles, de seigneurs et de bateleurs.
    Sans doute le cardinal, qui planait sur cette féerie de joie, était descendu dans les ténèbres de son passé, évoquant quelques souvenirs effrayants, car il haletait. Mais sous ses yeux, soudain, aux deux extrémités de la place, un double mouvement de foule le fit tressaillir.
    Sur sa droite, c’était une fantastique guimbarde que l’imagination surmenée d’un Callot [5] eût donnée pour carrosse à ses épiques sacripants : le véhicule de Belgodère qui, au pas branlant de sa haridelle fourbue, faisait son entrée sur la Grève.
    Sur sa gauche, c’était un groupe de jeunes seigneurs cuirassés de buffle, l’épée de guerre aux flancs. Et au milieu d’eux, les dépassant de la tête, plus magnifique et plus sombre encore que la veille sur le plateau de Chaillot, pensif et formidable, le Balafré, le duc Henri de Guise, le roi de Paris !
    Le redoutable capitaine semblait ne rien voir autour de lui, ni ce respect mêlé de terreur qui courbait les têtes sur son passage, ni l’angoisse de cette multitude attentive à surprendre quels rêves hantaient celui qui tenait dans ses mains les destinées d’une couronne et d’un peuple. Il ne voyait que la bohémienne Saïzuma qui,

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