La Fausta
suppositions affolantes ont traversé son esprit éperdu. Jean est-il marié à une autre ?
L’évêque va lui répondre !
Dans l’église, elle s’arrête défaillante, consciente à peine de ce qu’elle fait. Sa raison flotte, son regard vacille… et soudain se fixe sur le maître-autel, là-bas, par-delà l’immense nef, tout au fond où, dans la splendeur des cierges, environné d’étincelantes chasubles, couvert d’or, le prince Farnèse, légat du pape, entonne le
Kyrie
.
Léonore se met en marche. Par de lents efforts, elle se fraye un passage. Mais quand enfin elle atteint le chœur, elle est sans forces. Elle n’est plus soutenue que par l’idée fixe : attendre que la cérémonie finisse, interroger cet évêque, lui arracher son secret, savoir s’il est vrai que son Jean l’ait ainsi bafouée !
Dix pas, au plus, la séparent du prince-évêque. Tourné vers le tabernacle, il officie en des poses empreintes d’une solennelle dignité hiératique. Ah ! celui-là doit planer bien haut au-dessus des lâchetés humaines ! Celui-là ne mentira pas !
Et maintenant Léonore a peur.
Elle frissonne. L’approche de l’horrible réalité l’épouvante, elle se raccroche désespérément à son rêve d’amour, elle veut garder une illusion quelques minutes encore, un reste d’espérance ; elle veut reculer, s’en aller, sortir… soudain la sonnette résonne pour l’élévation !
Tout se tait, tout se prosterne… Léonore est debout, haletante, si pâle qu’il semble que la mort l’ait touchée de son aile…
Monseigneur Farnèse a saisi l’ostensoir, et flamboyant de sa majesté, il se retourne…
Une terrible secousse ébranle Léonore des pieds à la tête. Terreur et délire !… Cet évêque ! L’étrange jeunesse de ce visage de prélat !… Cette flamme des yeux !… Cette éclatante beauté !… Elle les connaît !… Elle les reconnaît !… Oh ! mais c’est…
Cet évêque !… Non ! L’hallucination est par trop insensée ! Il faut qu’elle s’assure, qu’elle voie de près ! Hagarde, rapide, elle franchit la grille, s’élance… et alors !…
Un suprême élan la pousse. Pantelante, elle monte les degrés de l’autel ! Ses deux mains convulsives s’abattent sur les épaules de l’évêque foudroyé, anéanti, et un lamentable cri déchire le silence :
— Puissances du ciel ! Jean ! mon amant ! C’est toi ! C’est toi !…
Un geste de malédiction suprême !
Et Léonore inanimée tombe en travers des marches, aux pieds de l’évêque pétrifié, blanc comme un marbre.
Une tempête de rumeurs se déchaîne. Profanation ! Sacrilège ! On accourt. On se précipite sur Léonore, on la saisit.
Et tandis qu’on l’entraîne, qu’on l’emporte, qu’on la jette au fond d’un cachot, le prince Farnèse, duc de Kervilliers, l’évêque, l’amant rugit dans sa conscience :
« Damné ! Maudit ! Je suis maudit ! »
* * * * *
Sur la place de Grève, dans la brumeuse matinée de novembre, un flot humain houle et roule autour d’un échafaudage de poutres grossières. Contre le poteau central est assis un géant silencieux, semblable à quelque formidable cariatide de Michel-Ange : c’est maître Claude… le bourreau ! Ce sinistre squelette de madriers, c’est le gibet ! Et ce peuple accouru des quatre horizons de Paris est là pour voir mourir Léonore condamnée pour mensonge diabolique et calomnie hérésiarque envers l’évêque.
Le procès a duré six mois.
Le jour même où Léonore a été arrêtée dans Notre-Dame, le baron de Montaigues son père s’est tué d’un coup de dague au cœur. Présumé complice du scandale — affirme le tribunal — il a ainsi échappé à la justice des hommes.
Quant à l’accusée, à toutes les questions elle a répondu par des regards sans vie, de ces regards qui donnent le vertige comme les abîmes : l’âme est morte ; l’official n’aura qu’un corps à livrer au supplice.
Elle est condamnée… Elle va mourir !
Neuf heures sonnent. Le glas tinte. On entend le
De profundis
: c’est le cortège.
Les moines, les confréries, les pénitents qui psalmodient, le médecin-juré, les gens du guet, le grand prévôt…
Puis, soutenue par deux prêtres, les cheveux épars, les pieds nus, la tête renversée sur l’épaule, c’est Léonore !
Et derrière elle, entourée d’inquisiteurs qui la surveillent, morne, vieilli, décomposé, marchant tout
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