La fête écarlate
être fier.
Il agita sa main. Elle répondit à son geste. Elle souriait.
Il se hâta, l’esprit enluminé par cette image. Il était conquis, asservi, prêt à tout pour gagner l’amour de cette belle. Au risque d’être considéré comme un fou, il baisa le voile blanc et rouge ardemment, plusieurs fois. Puis, sa joie fondant soudain, il s’en essuya les yeux.
*
Thierry l’attendait, auprès de Saladin, devant une des estaquettes (15) du champ clos.
– L’avez-vous revue ?
– Oui… Elle est belle, avenante…
– L’autre l’était aussi.
Était-ce un reproche et, dans l’affirmative, fallait-il s’en mécontenter ? Ogier se garda de prendre un ton courroucé :
– Tu pourrais dire Adelis. J’en supporte le deuil davantage que toi et peut-être – qui sait ? – que Raymond.
Il ne sut comment dissiper l’espèce de vergogne dont il se sentait envahi. Il s’étonnait plus encore que Champartel d’avoir succombé si promptement aux attraits de Blandine. Eût-elle dédaigné leur rendez-vous qu’il se fût peut-être guéri d’un sentiment dont la vigueur et la promptitude l’ébahissaient tout autant que son écuyer. Bien qu’il se sentît plus que jamais maître de son destin, il pressentait des contrariétés, des menaces latentes, et sans doute également Saladin dont le regard ne cessait de l’interroger.
« On dirait qu’il a peur lui aussi, mais de quoi ? »
Il entraîna le chien et Champartel dans la foule qui contournait la lice dans les deux sens. Au centre de celle-ci, des fillettes formaient une ronde enjouée autour d’un garçon coiffé d’une jatte de fer, vêtu d’un semblant de haubert, une épée de bois au côté. Elles chantaient :
Où est la Marguerite ?
Ogier ! Ogier ! Ogier !
Où est la marguerite,
Ogier, beau chevalier ?
Et le garçon de répondre d’une voix fluette, en toupinant, les bras en croix :
Elle est dans son châtel,
Ogier ! Ogier ! Ogier !
Elle est dans son châtel,
Ogier, beau chevalier.
J’en abattrai une pierre,
Ogier ! Ogier ! Ogier !
J’en abattrai une pierre,
Ogier beau chevalier.
– Ogier ! Ogier ! Ogier !… Il n’y en a que pour vous, dit Thierry, un soupçon de sourire aux lèvres. Plaise à Dieu que cela continue.
II
« Et si le temps se mettait au beau ? Si les semaines à venir conservaient cet azur dont cette journée se pare ? »
En s’interrogeant ainsi, Ogier, allongé sous un chêne, les yeux mi-clos, regardait le ciel pur à travers la feuillée.
Pénétrée des clapotements de deux galops identiques et qui, soudain, n’en composaient plus qu’un seul, une rumeur s’éleva derrière lui. Elle se boursoufla, vacilla et s’émietta en gouttes bruyantes.
– Encore deux.
Deux lances, deux chevaux et deux hommes. Une percussion violente. Joie d’un côté, déconvenue ou souffrance de l’autre. Quels étaient ces jouteurs ? Des jeunes ? Des vieux ?
Clignant des paupières tant la clarté du soleil était vive, Ogier s’apprêtait à prolonger les délices du nonchaloir lorsque, précédée d’un pas qu’il avait reconnu, une ombre glissa sur son visage.
– Où en sont-ils, Marcaillou ?
– Aux dernières joutes des commençailles. Tout près de moi, un maréchal de lice a dit qu’on allait bientôt déjeuner sans quitter le champ clos, et qu’on profiterait de cette interruption pour ôter les barrières en surplus afin qu’il n’en reste qu’une.
– Que sais-tu d’autre ?
– Il y avait bien cent jouteurs à se courir sus. Au début, ils n’avaient droit qu’à une lance ; à deux quand ils ne furent qu’une vingtaine. Les deux… survivants qui restent en auront trois… Ils sont recrus au point que le meilleur ne pourra inquiéter quiconque, même si ces trois courses achevées, il disposera d’une bonne partie de la journée pour s’agaillardir… Pas vrai, Raymond ?
Le sergent approuva d’un grognement. Ogier se souleva sur un coude :
– Parmi tous ceux qui ont couru, en connaissons-nous quelques-uns ?
– Oui, messire. Les chevaliers de bonne renommée n’ayant défié personne s’étaient réunis tout au long de la forclose (16) devant l’évêque et les dames. Le Roi d’armes les avait appariés au mieux, il faut croire, puisque aucun ne s’est plaint.
– Cite-moi des noms, Raymond.
– Bellebrune et Lonchiens ont rompu chacun une lance et sont revenus quitter leur armure : ils
Weitere Kostenlose Bücher