La fête écarlate
protection, il les prévient qu’Édouard III et ses connétables préparent l’invasion de la Normandie. Le jour et le lieu du débarquement doivent être fixés en France même, en présence de Blainville, lors des joutes et du tournoi qui, aux prochaines Pâques, rassembleront à Chauvigny, en Poitou, la fleur de la Chevalerie. À cette occasion, des traîtres et des Anglais venus subrepticement de Bretagne et de Guyenne se concerteront en un endroit encore indéterminé. Ce pourrait bien être le château d’André de Chauvigny, seigneur de Châteauroux, vicomte de Brosse, époux d’Alix d’Harcourt, sœur puînée de l’homme qui, un moment, avait brigué le pouvoir en Normandie – le duché et le titre envié de duc revenant à Jean, le fils aîné du roi de France.
Résolu à faire échouer ce complot et surtout à confondre Blainville, l’impitoyable ennemi de sa famille, Ogier, sitôt le printemps, quitte son père et sa sœur Aude dont Thierry s’est épris. Ce n’est pas sans angoisse qu’il les abandonne avec leurs serviteurs en leur château ruiné, ceint de douves vaseuses : Gratot. Prématurément vieilli par un injuste opprobre et ses conséquences, Godefroy d’Argouges sait ses jours comptés. S’il n’a pas oublié un seul instant que, six ans plus tôt, après lui avoir imputé la responsabilité du désastre de l’Écluse, Blainville, avec l’assentiment du roi, a diffamé les lions d’or de ses armes, il est désormais incapable de lutter pour sa réhabilitation.
Thierry et Raymond accompagnent Ogier ainsi qu’Adelis, une ancienne ribaude. Comme au seul nom d’Argouges, Blainville pourrait licitement le faire emprisonner, exécuter peut-être – le fils supportant la déchéance du père –, le jeune chevalier a pris le patronyme d’Ansignan de Fenouillet sur les conseils d’Adelis. Elle connaît bien cette contrée de la langue d’Oc où elle est née. Si bien, même, que sur sa recommandation, Ogier porte un écu noir dont le seul ornement est un canton d’or : c’étaient les armes des Ansignan tragiquement disparus. Enfin, le bassinet qui le coiffera dans la lice est sommé d’un poing vermeil, symbole de sa fureur vengeresse.
En cheminant vers Chauvigny, les quatre compagnons délivrent une jouvencelle captive d’une bande de Bretons. Nièce du baron de Morthemer, Isabelle inspire si peu confiance à Ogier qu’il décline son invitation à porter ses couleurs dans la lice.
Ce manquement délibéré à un vœu quelque peu frivole eût été reçu comme une déconvenue légère par une donzelle disposant de toute sa raison. Hélas ! Isabelle est atteinte de lypémanie (2) . Ce refus constitue pour elle une offense impardonnable. Thierry, qui n’est jamais dépourvu d’intuition, craint qu’elle ne se venge de cet affront d’une façon tout aussi perverse qu’inattendue. L’inquiétude et la méfiance de l’écuyer augmentent quand, grâce à Blainville et au comte Charles d’Alençon, frère du roi, la donzelle est sacrée reine de la fête d’armes.
Adelis meurt, égorgée au bord de la Vienne dans des circonstances étranges. Faute de preuve, Ogier ne peut accuser celui qu’il soupçonne de ce meurtre. Et tandis qu’il désespère de découvrir le plus petit indice susceptible de l’informer sur le complot et les comploteurs, il reconnaît dans la foule, malgré ses vêtements de manant, le Boiteux de Saint-Sauveur, l’ancien familier de Gratot : Godefroy d’Harcourt. Il s’était réfugié en Angleterre ; pour qu’il soit en Poitou, c’est bien que Jean de Montfort, mort depuis ses révélations, avait dit la vérité.
Enguerrand de Briatexte est également présent. Ogier l’a désarmé lors d’un âpre combat sous les murs du château de son oncle, en Périgord. Poignardé par Raoul de Leignes, le soupirant jaloux d’Isabelle, Enguerrand révèle son nom véritable à cet ennemi que, contrairement aux apparences, il avait pris en estime. Il est Jaquelin de Kergœt ; il a servi Jeanne de Montfort et Jeanne de Clisson dans leur lutte contre Charles de Blois. Pressant le moribond de questions, Ogier apprend que les comploteurs se réuniront dans un souterrain et qu’il suffît, pour les entendre, de pénétrer dans le logis du chévecier (3) de l’église Saint-Pierre. Cette maison jouxte le château que dame Alix a reçu de son frère, Jean IV d’Harcourt, à l’occasion de son mariage. Un conduit d’aération passe derrière
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