La Fin de Pardaillan
bande de loups enragés avec laquelle il allait se trouver aux prises.
Son geste avait été si rapide, si imprévu, que les hommes de Concini n’eurent conscience de ce qui s’était passé qu’en voyant leurs deux camarades rouler dans la poussière. De son côté, Landry Coquenard avait été si prompt à saisir l’occasion aux cheveux qu’il était déjà dans la rue de Grenelle lorsqu’ils s’aperçurent de sa fuite.
Concini et Rospignac, eux, ne s’étaient aperçus de rien. Ils n’avaient d’yeux que pour Brin de Muguet qu’ils dévoraient littéralement du regard.
Odet de Valvert s’attendait à être chargé séance tenante et il se tenait sur ses gardes. Ce court instant de répit que la stupeur de ses adversaires lui accordait, il le mit à profit pour les observer. Tout naturellement, son attention se porta d’abord sur celui qu’il savait être le chef : sur Concini. Il ne put pas ne pas être frappé de l’ardent regard de brutale passion que Concini et Rospignac dardaient sur la jeune fille. Ce regard, qui semblait déshabiller celle qu’il considérait comme une pure et chaste enfant, le fit rougir de colère. L’amoureux venait de flairer en ces deux hommes deux rivaux contre lesquels il aurait à lutter. Sa main tortilla nerveusement sa moustache et, après avoir rougi, il pâlit : la jalousie venait d’abattre sur lui sa griffe acérée et lui déchirait le cœur.
Il ne fut pas le seul à remarquer ce regard enflammé des deux hommes.
Dans la foule, une femme de petite taille s’appuyait au bras d’un homme qui paraissait d’une longueur démesurée. La femme s’enveloppait dans une ample cape de drap très simple, comme en portaient les femmes du peuple. En sorte qu’il était impossible de reconnaître à quelle condition elle appartenait. Il était également impossible de voir son visage, qui disparaissait sous le capuchon soigneusement rabattu. Quant à l’homme, aussi long qu’elle était petite, il cachait aussi soigneusement qu’elle son visage dans les plis du manteau relevé jusqu’au nez. Tout ce que l’on pouvait voir, sous le large chapeau orné d’une touffe de plumes rouges, c’étaient deux yeux de braise qui paraissaient singulièrement vifs et perçants.
Cette femme n’avait d’yeux que pour Concini. Comme Odet de Valvert, elle fut frappée du regard qu’il attachait sur la jolie bouquetière des rues. Elle suivit la direction de ce regard et détailla la jeune fille avec une attention aiguë de femme jalouse observant une rivale. Et elle serra fortement le bras de son cavalier, et elle gémit, d’une voix plaintive…
– Stocco, voilà celle qu’il aime !… La voilà !…
L’homme long, l’homme qu’elle venait d’appeler Stocco, fixa tour à tour sur Concini et sur Brin de Muguet un regard goguenard et leva familièrement les épaules de l’air de quelqu’un qui dit : « Que voulez-vous que j’y fasse ? » Seulement son regard, à lui, se fixa un instant sur Rospignac – ce que la jalouse inconnue n’avait pas daigné faire. Et alors un sourire railleur souleva son immense moustache noire, et son regard, qui revint se fixer sur Concini, se fit plus goguenard encore. Si bien que nous pouvons en déduire, sans crainte de nous tromper, que ce singulier personnage se réjouissait de la rivalité amoureuse qu’il devinait entre Concini et Rospignac, entre le maître et son serviteur.
Cependant les ordinaires se remettaient de leur stupeur. Ce fut d’abord une effroyable bordée de jurons où tous les diables d’enfer figuraient à la place d’honneur. Cette furieuse explosion arracha Concini à sa contemplation passionnée et le ramena au sentiment de la réalité.
– Qu’est-ce ? fit-il.
On le lui apprit en quelques mots brefs. En apprenant que « le damné Landry Coquenard » venait de leur fausser compagnie, grâce à l’intervention de ce jouvenceau qu’on lui désignait, Concini devint livide. Un tremblement convulsif le secoua des pieds à la tête. Ivre de colère, il éclata d’abord en jurons affreux :
–
Sangue della madonna !… Cristaccio maledetto !… Santi ladri !…
Mais, se remettant aussitôt, d’une voix qu’une fureur terrible faisait trembler, il commanda :
– Saisissez-moi cet homme !… Qu’il prenne la place de celui qu’il vous a enlevé !…
– Eh ! mon brave, lança Odet de Valvert d’une voix dédaigneuse, que ne venez-vous me saisir vous-même ? Je
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