La Flèche noire
il ne faudra pas qu’il les reprenne… vous êtes faible, parbleu ! Quoi ! alors si on vient vous charger avec une lance en criant qu’on est faible, il faudra se laisser transpercer ! Peuh ! sottises !
– Et cependant vous ne me battez pas, répliqua Matcham.
– Passons, dit Dick… passons. Je vous éduquerai. Vous avez été mal élevé, je pense, et, cependant vous êtes capable d’un peu de bien, et, sans aucun doute, vous m’avez tiré de la rivière. Oui, je l’avais oublié, je suis aussi ingrat que toi-même. Mais venez, marchons. Si nous voulons être à Holywood cette nuit ou demain matin de bonne heure, le mieux est de nous mettre en route rapidement.
Mais, bien que Dick en bavardant ainsi, eût repris sa bonne humeur accoutumée, Matcham ne lui avait rien pardonné. Sa violence, le souvenir du forestier qu’il avait tué et, par-dessus tout, la vision de sa ceinture levée sur lui, étaient choses qu’il n’était pas facile d’oublier.
– Je vous remercierai pour la forme, dit Matcham. Mais vraiment, bon maître Shelton, j’aimerais autant trouver mon chemin tout seul. Voici un grand bois ; de grâce, choisissons chacun notre chemin ; je vous dois un dîner et une leçon ; adieu !
– Bah ! s’écria Dick, si cela est votre idée, qu’il en soit ainsi et que le diable vous emporte !
Chacun tourna de son côté et ils commencèrent à marcher séparément sans penser à leur direction, absorbés par leur querelle. Mais Dick n’avait pas fait dix pas qu’il était appelé par son nom et Matcham arrivait en courant.
– Dick, dit-il, c’était vilain de nous séparer si froidement. Voici ma main et mon cœur avec. Pour tout ce en quoi vous m’avez si bien servi et aidé, je vous remercie… non pour la forme mais du fond du cœur. Portez-vous bien !
– Bien, mon garçon, répliqua Dick en prenant la main qui lui était offerte, bonne chance pour vous si vous devez en avoir. Mais j’ai bien peur que non. Vous êtes trop querelleur.
Ainsi ils se séparèrent pour la seconde fois, et quelques instants après ce fut Dick qui courait après Matcham.
– Hé, dit-il, prenez mon arbalète ; vous ne pouvez aller ainsi sans armes.
– Une arbalète ! dit Matcham. Non, mon garçon, je n’aurais ni la force de la tendre, ni l’adresse de viser. Cela ne me servirait à rien, bon garçon. Mais je vous remercie.
La nuit était tombée, et, sous les arbres, ils ne pouvaient plus voir leurs visages.
– J’irai un peu avec vous, dit Dick. La nuit est sombre. Je voudrais au moins vous laisser sur un chemin. J’ai des pressentiments, vous pourriez vous perdre.
Sans un mot de plus il se mit en marche et l’autre le suivit.
L’obscurité devenait de plus en plus épaisse, et, çà et là seulement, dans des endroits découverts, ils apercevaient le ciel parsemé de petites étoiles. Au loin le bruit de la déroute de l’armée de Lancastre continuait à se faire entendre faiblement, mais à chaque pas s’éloignait derrière eux.
Au bout d’une demi-heure de marche silencieuse, ils arrivèrent à une large clairière de bruyère. Elle brillait sous la lumière des étoiles, hérissée de fougères, avec des bouquets d’ifs formant îlots. Et là ils s’arrêtèrent et se regardèrent.
– Vous êtes fatigué, dit Dick.
– Ah ! répliqua Matcham : je suis si fatigué qu’il me semble que je pourrais me coucher et mourir.
– J’entends le grondement d’une rivière, dit Dick, allons jusque-là, car je meurs de soif.
Le terrain descendait doucement, et en effet ils trouvèrent au bas une petite rivière murmurante qui courait entre des saules. Là ils se jetèrent tous deux à terre sur le bord et mettant leurs bouches au niveau d’une flaque étoilée, ils burent à satiété.
– Dick, dit Matcham, c’est assez. Je n’en peux plus.
– J’ai vu un creux comme nous descendions, dit Dick. Étendons-nous-y et dormons.
– Oh ! de tout mon cœur, dit Matcham.
Le creux était sec et sablonneux ; un fouillis de ronces pendait d’un côté et formait un abri à peu près sûr ; les deux jeunes garçons s’y étendirent, serrés l’un contre l’autre pour avoir plus chaud et ayant entièrement oublié leur querelle.
Et bientôt le sommeil tomba sur eux comme un nuage et sous la rosée et les étoiles ils reposèrent paisiblement.
CHAPITRE VII
LA FACE MASQUÉE
Ils se réveillèrent à
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