La Flèche noire
arrivaient portés par le vent, et il était hors de doute que la déroute de toute une armée se répandait comme une inondation sur la route.
Dick était sombre. Il avait pensé suivre la grande route jusqu’au tournant de Holywood, et, à présent il lui fallait changer son plan. Mais surtout il avait reconnu les couleurs du comte Risingham et il savait que la bataille avait finalement tourné contre la rose de Lancastre. Sir Daniel avait-il rejoint l’armée et était-il à présent fugitif et ruiné ? ou bien avait-il déserté pour la cause d’York et avait-il forfait à l’honneur ? C’était un vilain choix.
– Venez, dit-il, d’un ton ferme, et il tourna sur ses talons et se mit à marcher sous bois, Matcham boitant à sa suite. Pendant quelque temps ils continuèrent à longer sous bois la route en silence. La journée s’avançait ; le soleil se couchait dans la plaine au-delà de Kettley, le sommet des arbres au-dessus de leur tête était doré, mais l’ombre commençait à s’épaissir et le frais de la nuit à tomber.
– Si l’on avait au moins quelque chose à manger ! s’écria tout à coup Dick, en s’arrêtant.
Matcham s’assit par terre et se mit à pleurer.
– Vous pouvez pleurer pour votre souper, mais quand il s’agissait de sauver des vies d’hommes vous aviez le cœur plus dur, dit Dick avec mépris. Vous avez sept morts sur la conscience, maître John, et je ne vous le pardonnerai jamais.
– Conscience, ma conscience ! dit Matcham le regardant fièrement. Et vous, vous avez le sang rouge de l’homme sur votre poignard ! Et pourquoi l’avez-vous tué, le malheureux ? Il a bandé son arc, mais il n’a pas tiré ; il vous avait en son pouvoir, mais il vous a épargné. Il est aussi brave de tuer un jeune chat qu’un homme qui ne se défend pas.
Dick était muet.
– Je l’ai tué loyalement, dit-il enfin. Je me suis jeté sur son arc.
– Ce fut un coup de lâche, répliqua Matcham. Vous n’êtes qu’un butor et un tyran, maître Dick : vous abusez de vos avantages ; qu’il vienne un plus fort nous vous verrons ramper sous sa botte ! Vous ne pensez pas non plus à la vengeance, car la mort de votre père n’est pas encore expiée et sa pauvre ombre demande justice. Mais qu’il vous tombe entre les mains une pauvre créature ni forte, ni adroite, mais qui voudrait être votre amie, elle sera écrasée.
Dick était trop furieux pour remarquer cet Elle.
– Par ma fois voici du nouveau ! Sur deux l’un est plus fort. Le plus fort renverse l’autre et l’autre n’a que son dû. Vous méritez une raclée, maître Matcham, pour votre mauvaise conduite et manque de reconnaissance envers moi, et ce que vous méritez, vous l’aurez.
Et Dick qui, même dans sa plus grande colère, conservait l’apparence du calme, se mit à déboucler sa ceinture.
– Voici votre souper, dit-il d’un air farouche.
Matcham ne pleurait plus, il était blanc comme un drap, mais il regardait Dick fixement sans faire un mouvement ; Dick fit un pas en balançant la ceinture. Puis il s’arrêta, embarrassé par les grands yeux et la pauvre figure fatiguée de son compagnon. Le courage commençait à lui manquer.
– Avouez, alors, que vous aviez tort, dit-il piteusement.
– Non, dit Matcham. J’avais raison. Allez, cruel ! je suis blessé, je suis fatigué ; je ne résiste pas ; je ne t’ai jamais fait de mal ; venez, battez-moi, lâche !
Dick leva la ceinture à cette dernière provocation ; Matcham tressaillit et se replia sur lui-même avec un air de si cruel effroi que le cœur lui manqua encore. La lanière tomba à son côté et il était planté là, indécis et se sentant très sot.
– Que la peste t’étouffe ! dit-il ! Puisque vous avez la main si faible, vous devriez bien faire plus attention à votre langue. Mais j’aimerais mieux être pendu que de vous battre ! et il remit sa ceinture. Vous battre, non, continua-t-il, mais vous pardonner ? Jamais. Je ne vous connaissais pas, vous étiez l’ennemi de mon maître ; je vous ai prêté mon cheval ; vous avez mangé mon dîner, vous m’avez appelé un homme en bois, un lâche et un butor. Non, par la messe ! la mesure est comble et déborde. C’est une bonne chose d’être faible, ma foi ; vous pouvez faire le pis, et personne ne vous punira, vous pouvez voler ses armes à un homme au moment où il en a besoin et
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