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La Guerre et la Paix - Tome III

La Guerre et la Paix - Tome III

Titel: La Guerre et la Paix - Tome III Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Léon Tolstoï
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lorsqu’elle fut saisie d’une terreur panique, causée par la prise des convois sur la route de Smolensk et par la nouvelle de la bataille de Taroutino ; Napoléon la reçut au moment où il passait une revue ; ainsi que le dit M. Thiers, elle éveilla en lui le désir de châtier les Russes : aussi s’empressa-t-il d’ordonner le départ, désiré par toute l’armée. En s’enfuyant de Moscou, les soldats traînèrent avec eux tout ce qu’ils purent prendre. Napoléon lui-même emportait son trésor particulier. Les énormes convois qui entravaient la marche de l’armée l’effrayaient, mais, dans sa grande expérience de la guerre, il ne fit pas brûler les fourgons, comme il l’avait exigé d’un de ses maréchaux en approchant Moscou. Ces calèches, ces voitures, pleines de soldats et de butin, trouvèrent grâce à ses yeux, parce que, disait-il, ces équipages pouvaient être employés plus tard pour les vivres, les malades et les blessés.
    La situation de l’armée n’était-elle pas comparable dans ce moment à celle de l’animal blessé qui sent que sa perte est prochaine et qui est affolé par la terreur ? Les habiles manœuvres de Napoléon et ses projets grandioses, depuis le moment de son entrée à Moscou jusqu’à celui de la destruction de ses troupes, ne sont-ils pas, en effet, comme les bonds et les convulsions qui précèdent la mort de l’animal blessé ? Effrayé par le bruit, il se jette en avant, reçoit le coup du chasseur, et revient sur ses pas, hâtant ainsi lui-même sa fin. Napoléon, sous la pression de son armée, fit de même. Le bruit de la bataille de Taroutino l’effraya, il se jeta en avant, atteignit le chasseur, et revint, lui aussi, sur ses pas, pour reprendre le chemin le plus désavantageux, le plus dangereux, les voies anciennes et connues.
    Napoléon, qui se présente à nous comme l’instigateur du mouvement, ainsi qu’aux yeux des sauvages la figure sculptée sur la proue d’un bâtiment semble en être le guide, était, à cette époque de sa vie, semblable à un enfant qui, se cramponnant aux courroies de l’intérieur de la voiture, s’imagine que c’est lui qui la conduit.

XI
    Le 6 octobre, de grand matin, Pierre sortit de la baraque, et s’arrêta sur le seuil de la porte, en caressant un petit chien à jambes courtes et torses, qui couchait d’habitude aux pieds de Karataïew, s’aventurait souvent en ville, mais revenait infailliblement chaque soir. Personne ne l’avait réclamé, et il ne portait aucun nom sur son collier. Les Français l’appelaient « Azor », et Karataïew « le Gris ». Le pauvre animal ne semblait nullement embarrassé de n’avoir ni maître ni race déterminée ; il portait ferme et droite sa queue en panache, et ses jambes torses faisaient si bien leur service, qu’il lui arrivait souvent de dédaigner de se servir des quatre à la fois, et de s’en aller, une patte de derrière gracieusement relevée, en sautillant sur ses trois autres. Tout était pour lui sujet de joie ; il se roulait sur le dos, se chauffait au soleil d’un air pensif et important, ou jouait avec un morceau de bois ou un brin de paille.
    L’habillement de Pierre se composait d’une chemise sale, déchirée, dernier vestige de ses anciens vêtements, d’un pantalon de soldat noué aux chevilles pour tenir plus chaud, selon le conseil de Karataïew, et d’un caftan. Son extérieur n’était plus le même : il avait perdu de sa corpulence, mais sa forte charpente faisait toujours de lui l’image de la force physique : une barbe épaisse et une longue moustache couvraient le bas de son visage ; ses cheveux longs, emmêlés, remplis de vermine, sortaient de dessous son bonnet ; l’expression de ses yeux était plus ferme et plus calme qu’auparavant, et son laisser-aller habituel avait fait place à une énergie toute prête à l’action. Pierre regardait tour à tour la plaine sur laquelle on voyait des charrettes et des hommes à cheval, la rivière qui scintillait au bas, le petit chien qui le mordillait en jouant, et ses pieds nus et sales, auxquels il faisait prendre des poses plus ou moins gracieuses, tout en souriant d’un air béat et satisfait, au souvenir de tout ce qu’il avait souffert et appris pendant ces derniers jours.
    Le temps était devenu doux et clair. C’était l’été de la Saint-Martin, avec ses petites gelées blanches, dont la fraîcheur matinale, en se mêlant aux rayons du soleil,

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