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La Guerre et la Paix - Tome III

La Guerre et la Paix - Tome III

Titel: La Guerre et la Paix - Tome III Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Léon Tolstoï
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manger lorsqu’il avait faim, de boire lorsqu’il avait soif, de dormir lorsqu’il avait sommeil, de se chauffer lorsqu’il faisait froid, et de causer lorsqu’il avait envie d’échanger quelques paroles ! Il oubliait seulement une chose ; c’est que l’abondance des biens de ce monde diminue le plaisir qu’on éprouve à s’en servir, et qu’une trop grande liberté dans le choix des occupations, provenant de son éducation, de sa richesse et de sa position sociale, rendait ce choix compliqué, difficile et souvent même inutile. Toutes les pensées de Pierre se tournaient vers le moment où il redeviendrait libre, et pourtant, plus tard, il se reportait toujours avec joie à ce mois de captivité, et ne cessa de parler avec enthousiasme des sensations puissantes et ineffaçables, et surtout du calme moral qu’il avait si complètement éprouvés à cette époque de sa vie.
    Lorsqu’au point du jour, le lendemain de son emprisonnement, il vit, en sortant de la baraque, les coupoles encore sombres et les croix du monastère de Novo-Diévitchi, la gelée blanche qui brillait sur l’herbe poudreuse, les montagnes des Moineaux et leurs pentes boisées se perdant au loin dans une brume grisâtre ; lorsqu’il se sentit caressé par une fraîche brise, qu’il entendit le battement d’ailes des corneilles au-dessus de la plaine, qu’il vit soudain la lumière chasser les vapeurs du brouillard, le soleil s’élever majestueusement derrière les nuages et les coupoles, les croix, la rosée, le lointain, la rivière, étinceler à ses rayons resplendissants et joyeux, son cœur déborda d’émotion. Cette émotion ne le quitta plus, elle ne faisait que centupler ses forces à mesure que s’aggravaient de plus en plus les difficultés de sa situation. Cette disposition morale contribua aussi à entretenir la haute opinion qu’avaient de lui ses compagnons de captivité. Sa connaissance des langues, le respect que lui témoignaient les Français, sa simplicité, sa bonté, sa force, son humilité dans ses rapports avec ses camarades, sa faculté de l’absorber dans de profondes réflexions, tout faisait de lui à leurs yeux un être mystérieux et supérieur. Les qualités qui, dans sa sphère habituelle, étaient plutôt nuisibles et gênantes, le transformaient ici presque en héros, et il comprenait que cette opinion lui créait des devoirs.

XIII
    Dans la nuit du 6 au 7 octobre commença la retraite des Français : on démolissait les baraques et les cuisines, on chargeait des charrettes, et les troupes et les fourgons s’ébranlaient de tous côtés.
    À 7 heures du matin, un convoi de Français, en tenue de campagne, le shako sur la tête, le fusil sur l’épaule, la giberne et le sac au dos, s’alignaient devant le corps de garde, en échangeant entre eux, sur toute la ligne, un feu croisé de propos animés, émaillés de jurons. À l’intérieur, tous étaient prêts, chaussés, habillés, n’attendant que l’ordre de sortir. Seul le pauvre Sokolow, pâle, exténué, n’était ni chaussé, ni habillé et poussait des gémissements incessants. Ses yeux cernés, sortant de leur orbite, interrogeaient en silence ses compagnons, qui ne faisaient aucune attention à lui. Ce n’était pas tant la souffrance (il était malade de la dysenterie) que la crainte d’être abandonné qui le tourmentait. Pierre, chaussé de bottes cousues par Karataïew, ceint d’une corde, s’assit devant lui sur ses talons.
    « Écoute donc, Sokolow, ils ne s’en vont pas tout à fait ! Ils ont ici un hôpital, tu seras peut-être encore mieux partagé que nous.
    – Oh ! Seigneur ! c’est ma mort… Oh ! Seigneur ! s’écria tristement le soldat.
    – Je vais leur en parler, veux-tu ? » lui dit Pierre en se levant et en se dirigeant vers la porte.
    À ce moment, la porte s’ouvrit, et il vit entrer un caporal et des soldats en tenue de campagne. Le caporal, celui-là même qui, la veille, avait offert à Pierre de fumer sa pipe, venait faire l’appel.
    « Caporal, que fera-t-on du malade ? » lui demanda Pierre qui avait peine à le reconnaître, tant il ressemblait peu, avec son shako sur la tête et sa jugulaire boutonnée, au caporal qu’il voyait tous les jours.
    Il fronça le sourcil à cette question, et, murmurant une grossièreté inintelligible, il poussa la porte avec violence, et la baraque se trouva plongée dans une demi-obscurité ; les tambours battirent aux champs des deux

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