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La Guerre et la Paix - Tome III

La Guerre et la Paix - Tome III

Titel: La Guerre et la Paix - Tome III Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Léon Tolstoï
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mort !… J’ai parlé sans réfléchir, autrement je lui aurais dit que j’aurais été heureuse de le voir toujours mourant plutôt que d’éprouver ce que j’éprouve aujourd’hui !… C’est inutile maintenant de chercher à réparer ma faute, il ne le saura jamais !… Son imagination se complaisant à recommencer la même scène, elle modifiait sa réponse et lui disait : « Oui, c’eût été affreux pour vous, mais pas pour moi, car vous savez que vous êtes tout pour moi : souffrir avec vous est encore un bonheur ! » Alors elle sentait le serrement de sa main, elle entendait sa propre voix lui répéter des paroles de tendresse et d’amour qu’elle n’avait pas dites alors, mais qu’elle disait aujourd’hui : « Je t’aime, je t’aime ! » répétait-elle en joignant convulsivement les mains, et sa douleur devenait moins amère et ses yeux se remplissaient de larmes… puis tout à coup elle se demandait avec terreur à qui elle parlait ainsi… « Qui était-il ? Où était-il à présent ?… » Tout se dérobait derrière une appréhension indicible qui arrêtait son effusion, et, se laissant de nouveau aller à ses réflexions, il lui semblait qu’elle allait enfin pénétrer le mystère. Mais, au moment où elle allait saisir l’insaisissable, Douniacha, la fille de chambre, entra vivement, le visage décomposé, et lui dit, sans s’inquiéter de l’effet produit par son apparition :
    « Venez vite, mademoiselle, un malheur est arrivé !… Pierre Illitch… une lettre ! » dit-elle en sanglotant.

II
    L’aversion que chacun inspirait à Natacha était plus marquée encore envers les membres de sa famille. Son père, sa mère, Sonia, lui étaient si familiers et si proches, que leurs paroles lui paraissaient toujours sonner faux dans ce monde idéal qui l’absorbait complètement. Elle leur témoignait non seulement de l’indifférence, mais même de l’inimitié. Elle écouta la nouvelle apportée par Douniacha sans la comprendre : « De quel malheur parle-t-elle ? Qu’est-ce qui peut leur être arrivé, à eux, dont les jours coulent et se succèdent avec la même tranquillité ? » Voilà ce qu’elle se demandait.
    Lorsqu’elle entra dans le salon, son père sortait de la chambre de la comtesse. Sa figure contractée était couverte de larmes ; en apercevant sa fille, il fit un geste désespéré, et éclata en sanglots déchirants, qui bouleversaient sa bonne et placide figure :
    « Pétia, Pétia !… Va ! Va ! Elle t’appelle ! » Pleurant à chaudes larmes comme un enfant, et traînant ses jambes affaiblies, il s’affaissa sur une chaise, en couvrant sa figure de ses mains.
    On aurait dit qu’un courant électrique enveloppait dans ce moment Natacha de la tête aux pieds, et la frappait douloureusement au cœur ; elle sentit quelque chose éclater en elle, elle crut mourir, mais cette horrible angoisse fut instantanément suivie d’une sensation de délivrance. La torpeur qui pesait sur elle s’était évanouie. La vue de son père, les cris de douleur sauvage de sa mère, lui firent oublier sa propre désolation ; elle courut à son père, mais celui-ci, d’un geste qui trahissait sa faiblesse, lui indiqua la porte de la chambre de la comtesse, sur le seuil de laquelle la princesse Marie venait d’apparaître, pâle et tremblante. Saisissant Natacha par la main, elle murmura quelques mots, mais celle-ci, incapable de la voir et de l’entendre, la repoussa, se précipita vers sa mère, et s’arrêta une seconde devant elle, comme si elle luttait contre elle-même. La comtesse, à moitié couchée dans un fauteuil, en proie à des mouvements nerveux qui agitaient tout son corps, se frappait la tête contre la muraille. Sonia et les femmes de chambre tenaient ses mains étroitement serrées.
    « Natacha, criait la comtesse, ce n’est pas vrai, n’est-ce pas, il ment ?… Natacha ! poursuivait-elle, en repoussant ceux qui entouraient, dis-moi que ce n’est pas vrai ! »
    Natacha s’agenouilla sur le fauteuil, se pencha au-dessus de sa mère, releva sa tête affaissée, et colla sa figure contre la sienne.
    « Maman, ma chérie !… Je suis là, maman ! murmurait-elle sans interruption, et, la prenant dans ses bras, elle luttait tendrement avec elle en la faisant entourer d’oreillers, en la forçant à boire un peu d’eau, en dégrafant sa robe.
    « Je suis là, maman, je suis là ! » lui disait-elle toujours,

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