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La Guerre et la Paix - Tome III

La Guerre et la Paix - Tome III

Titel: La Guerre et la Paix - Tome III Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Léon Tolstoï
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en baisant sa tête, son visage, ses mains, et aveuglée par le torrent de larmes qui coulait le long de ses joues.
    La comtesse serra la main de sa fille, ferma les yeux et se calma un moment. Tout à coup, se soulevant avec un violent effort, elle promena autour d’elle un regard terne, et, apercevant sa fille, elle lui prit la tête à deux mains et la serra de toutes ses forces, puis, fixant ses yeux sur son visage, qu’elle pressait à lui faire mal, elle la regarda longtemps d’un air égaré.
    « Natacha, tu m’aimes ? lui dit-elle tout bas d’une voix confiante… Tu ne me tromperas pas, tu me diras la vérité ? »
    Les yeux de Natacha, voilés de larmes, semblaient implorer son pardon.
    « Mère chérie ! » dit-elle en employant tout son amour filial à soulager sa mère d’une part de son terrible malheur, pendant que celle-ci, impuissante à conjurer l’horrible réalité, s’obstinait à repousser l’idée qu’elle pouvait encore vivre, lorsque son fils bien-aimé venait d’être tué à la fleur de l’âge, et elle retombait dans le monde du délire pour fuir la fatale vérité.
    Natacha n’aurait pu dire comment se passèrent cette première nuit et la journée qui suivit. Elle ne dormit pas, et ne quitta pas sa mère d’une minute. Son affection, tenace et patiente, ne cherchait ni à consoler ni à expliquer, mais enveloppait la pauvre affligée d’effluves de tendresse qui étaient comme un appel à la vie. La troisième nuit, profitant d’un moment d’assoupissement de sa mère, elle venait de fermer les yeux en appuyant sa tête sur le bras du fauteuil, lorsque, à un craquement du lit, elle les rouvrit tout à coup, et vit la malade, assise sur son séant, parlant tout bas :
    « Comme je suis heureuse de ton retour !… Tu es fatigué ?… veux-tu du thé ? »
    Natacha s’approcha.
    « Comme te voilà grand et beau ! » poursuivit la comtesse en prenant la main de sa fille…
    – Maman, à qui parlez-vous ?
    – Natacha, il est mort, mort !… Je ne le verrai plus ! » Alors, se jetant au cou de sa fille, elle fondit en larmes pour la première fois.

III
    Sonia et le vieux comte essayaient en vain de remplacer Natacha ; elle était décidément la seule qui pût arrêter sa mère sur la pente d’un désespoir voisin de la folie. Pendant trois semaines elle resta constamment auprès d’elle, sommeillant à ses côtés dans un fauteuil : elle lui donnait à boire, à manger, et ne cessait de lui adresser de douces et tendres paroles.
    La blessure de cette pauvre âme ne pouvait se cicatriser. La mort de Pétia avait emporté la meilleure part de sa vie. Un mois plus tard, cette femme, que la nouvelle de la mort de son fils avait trouvée portant légèrement et avec vigueur ses cinquante ans, sortit de sa chambre, vieille, à moitié morte, et ne prenant plus aucun intérêt à l’existence. Ce coup, qui l’avait terrassée, arracha au contraire sa fille à sa léthargie. Natacha avait cru que sa vie était finie lorsque son affection pour sa mère lui démontra que l’essence de son être, c’est-à-dire l’amour, était encore vivace en elle, et, l’amour une fois réveillé dans son âme, elle revint à la vie.
    Les derniers jours du prince André avaient déjà lié Natacha et la princesse Marie ; ce nouveau malheur les rapprocha davantage. Cette dernière avait remis son départ ; elle soigna avec dévouement Natacha, dont les forces physiques avaient été soumises à une trop rude épreuve dans la chambre de sa mère, et qui était tombée malade à son tour. S’apercevant un jour qu’elle avait le frisson, la princesse Marie voulut qu’elle vînt chez elle, la coucha sur son lit, baissa les stores, et allait la quitter, lorsque Natacha la rappela.
    « Je n’ai pas sommeil, Marie, reste avec moi.
    – Mais tu es fatiguée, dors.
    – Non, non, pourquoi m’as-tu emmenée ?… Elle me demandera.
    – Non, ma chérie, elle est au contraire beaucoup mieux aujourd’hui. »
    Natacha, étendue sur le lit, examinait dans la demi-obscurité les traits de la princesse Marie : « Lui ressemble-t-elle ? se demandait Natacha. Oui et non : elle a quelque chose de particulier, d’étrange, quelque chose qui m’est inconnu, mais elle m’aime, et son cœur est essentiellement bon… mais que pense-t-elle ? Comment me juge-t-elle ? »
    « Mâcha, dit-elle timidement en l’attirant par la main, ne crois pas que je sois mauvaise, non, ma

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