La Guerre et la Paix - Tome III
amabilités, dit-il à Sonia, lorsque la voiture de la princesse se fut éloignée. Qu’ont-elles besoin de venir ?
–C’est mal à vous de parler ainsi, Nicolas, répondit Sonia en cachant avec peine sa joie. Elle est si bonne, et maman l’aime tant ! » Nicolas garda le silence et aurait voulu oublier cette visite, mais la comtesse y revenait à tout propos ; ne tarissant pas en éloges sur le compte de la princesse Marie, elle insistait pour que son fils lui rendît sa politesse, et exprimait le désir de la voir plus souvent. On sentait que le silence de Nicolas à ce sujet l’irritait.
– Il faut que tu y ailles, c’est une charmante fille… Tu y verras au moins quelqu’un, car tu dois mourir d’ennui avec nous autres.
– Je n’y tiens pas, maman.
– Je ne te comprends pas, mon ami : tantôt tu veux voir du monde, tantôt tu t’y refuses.
– Mais je n’ai jamais dit que je m’ennuyais, repartit Nicolas.
– Comment ! N’as-tu pas dit tout à l’heure que tu ne voulais pas la voir ? C’est une fille de beaucoup de mérite, tu as toujours eu de la sympathie pour elle, et aujourd’hui, par je ne sais quelle raison… on me cache toujours tout.
– Mais pas le moins du monde, maman.
– Je t’aurais compris si je te demandais de faire une démarche désagréable, mais je ne te demande que de rendre une visite que la politesse exige… Je ne m’en mêlerai plus, puisque tu as des secrets pour moi.
– J’irai si vous le voulez.
– Cela m’est parfaitement égal, c’est pour toi seul que je le désire. »
Nicolas soupirait, mordait sa moustache, étalait les cartes et s’efforçait de distraire l’attention de sa mère, mais, le lendemain et les jours suivants, elle revenait sur le même sujet. La froide réception de Nicolas avait froissé la princesse Marie dans son amour-propre, et elle se disait : « J’avais raison de ne pas vouloir faire cette visite… Au fond, je n’en attendais pas autre chose… Après tout, je suis allée voir la pauvre vieille, qui avait toujours été excellente pour moi. » Mais ces réflexions ne parvenaient pas à calmer le regret qu’elle éprouvait en songeant à l’accueil que lui avait fait Nicolas. Malgré sa ferme résolution de ne plus retourner chez les Rostow, et d’oublier ce qui s’était passé, elle se sentait involontairement dans une fausse position, et lorsqu’elle cherchait à s’en rendre compte, elle était forcée de s’avouer à elle-même que ses rapports avec Nicolas y étaient pour beaucoup. Son ton sec et poli n’était pas la véritable expression de ses sentiments : il devait cacher un sous-entendu qu’elle aurait voulu à tout prix éclaircir pour retrouver sa tranquillité. On était en plein hiver, lorsqu’un jour qu’elle assistait à une leçon de son neveu, on vint lui annoncer Rostow. Bien décidée à ne pas trahir son secret et à ne pas laisser apercevoir son embarras, elle pria Mlle Bourrienne de l’accompagner au salon. Au premier regard qu’elle jeta sur Nicolas, elle comprit qu’il était simplement venu remplir un devoir de politesse, et elle se promit de ne pas sortir de la réserve la plus absolue. Aussi, au bout des dix minutes exigées par les convenances, et consacrées aux questions banales sur la santé de la comtesse et sur les dernières nouvelles du jour, Nicolas se leva, et s’apprêta à prendre congé. Grâce à Mlle Bourrienne, la princesse Marie avait jusque-là très bien soutenu la conversation, mais, à ce moment, fatiguée de parler de ce qui l’intéressait si peu, et revenant par un rapide enchaînement d’idées à son isolement et au peu de joies qu’elle avait en ce monde, elle se laissa involontairement aller à une silencieuse rêverie, les yeux fixés devant elle, sans remarquer le mouvement que venait de faire Nicolas. Celui-ci eut tout d’abord l’air de ne pas s’en apercevoir et échangea quelques mots avec Mlle Bourrienne, mais, la princesse continuant à rester immobile et rêveuse, il fut forcé de la regarder et ne put se méprendre sur la douleur qu’exprimaient ses traits délicats.
Il lui sembla entrevoir confusément qu’il en était la cause, et ne sut comment s’y prendre pour lui témoigner un peu d’intérêt.
« Adieu, princesse, » lui dit-il.
Elle sembla se réveiller et soupira en rougissant.
« Pardon, murmura-t-elle, vous partez déjà ? Eh bien, adieu !
– Et le coussin que vous avez fait pour la
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