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La Guerre et la Paix - Tome III

La Guerre et la Paix - Tome III

Titel: La Guerre et la Paix - Tome III Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Léon Tolstoï
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rien changer à la routine de leur existence, tandis que, fatigué et inquiet, Napoléon marchait de long en large devant la barrière, en attendant la députation des boyards, ce vain cérémonial qu’il regardait comme indispensable ! Lorsqu’on lui annonça, avec toutes les précautions imaginables, que Moscou était vide, il jeta un regard courroucé sur celui qui avait l’audace de le lui dire, et il reprit sa promenade en silence. « La voiture ! » dit-il, et, y montant avec l’aide de camp de service, il entra dans le faubourg. Moscou déserté ? Quel événement invraisemblable {18}  ! et, sans pénétrer jusqu’au centre de la ville, il s’arrêta dans une auberge du faubourg de Dorogomilow. Le coup de théâtre avait raté !

XXI
    Les troupes russes traversèrent Moscou depuis deux heures de la nuit jusqu’à deux heures de l’après-midi, entraînant à leur suite les derniers habitants et des blessés. Pendant qu’elles encombraient les ponts de Pierre, de la Moskva et de la Yaouza, et qu’elles y étaient acculées sans pouvoir avancer, une foule de soldats, profitant de ce temps d’arrêt, retournaient sur leurs pas et se glissaient furtivement le long de Vassili-Blagennoï jusque sur la place Rouge, où ils pressentaient qu’ils pourraient sans grand’peine faire main basse sur le bien d’autrui. Les passages et les ruelles du Gostinnoï-Dvor {19} étaient également envahis par une masse d’individus qu’y poussait le même motif. On n’entendait plus les appels intéressés des boutiquiers ; il n’y avait plus de marchands ambulants, plus de foule bariolée, plus de femmes occupées à faire leurs emplettes ; on ne voyait que des soldats sans armes, entrant dans les magasins les mains vides et en ressortant les mains pleines. Les quelques marchands qui étaient restés sur place erraient ahuris, ouvraient et refermaient leurs boutiques, et en tiraient au hasard tout ce qu’ils pouvaient, pour le confier ensuite à leurs commis, qui l’emportaient en lieu sûr. Sur la place du Gostinnoï-Dvor, des tambours battaient le rappel, mais leur roulement ne rappelait plus à la discipline les soldats maraudeurs, qui s’enfuyaient au contraire au plus vite, pendant qu’à travers cette foule d’allants et venants passaient quelques hommes vêtus de caftans gris et la tête rasée. Deux officiers, l’un ceint d’une écharpe et monté sur un mauvais cheval gris foncé, l’autre en manteau et à pied, causaient ensemble au coin de l’Iliinka ; un troisième, également à cheval, les rejoignit.
    « Le général a ordonné de les chasser tous, coûte qui coûte !… La moitié des hommes s’est enfuie !…
    – Où allez-vous ? » cria-t-il à trois fantassins qui, relevant les pans de leurs capotes, se faufilaient devant lui pour reprendre leur rang.
    – Le moyen de les rassembler !… Il faut hâter le pas, pour que les derniers ne fassent pas comme le reste.
    – Mais comment avancer ? Le pont est encombré !
    – Voyons, allez, chassez-les devant vous ! » s’écria un vieil officier.
    Celui qui portait l’écharpe descendit de cheval, appela le tambour et se plaça avec lui sous l’arcade. Quelques soldats se mirent à courir avec la foule. Un gros marchand, avec des joues enluminées et bourgeonnées, et une expression cupide et satisfaite, s’approcha de l’officier en gesticulant.
    « Votre Noblesse, dit-il d’un air dégagé, accordez-nous votre protection. Cela nous est bien égal à nous, c’est une bagatelle et s’il ne s’agit que de contenter un honnête homme comme tous, nous trouverons bien toujours deux morceaux de draps à votre service, car nous sentons que… Mais ceci c’est du brigandage !… S’il y avait au moins une patrouille, si l’on avait donné le temps de fermer ! »
    Quelques autres marchands se rapprochèrent de lui.
    « À quoi sert de se lamenter pour une telle misère ? dit avec gravité l’un d’eux. Pleure-t-on ses cheveux lorsqu’on vous tranche la tête ? Libre à eux de prendre ce qu’ils veulent, ajouta-t-il en se tournant vers l’officier avec un geste énergique.
    – Il t’est bien facile, à toi, de parler, Ivan Sidoritch, reprit le premier marchand d’un ton grognon… Venez, Votre Noblesse, venez.
    – Je sais ce que je dis, reprit le vieux. N’ai-je pas, moi aussi trois boutiques, et pour cent mille roubles de marchandises ? Comment espérer de sauver son bien, puisque les troupes s’en

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