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La Guerre et la Paix - Tome III

La Guerre et la Paix - Tome III

Titel: La Guerre et la Paix - Tome III Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Léon Tolstoï
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donnait un aspect encore plus lugubre. Ghérassime poussa un des volets, il sortit aussitôt de la chambre. Pierre ouvrit une armoire qui contenait les manuscrits, et en retira une liasse de documents très précieux : c’étaient les actes originaux des loges d’Écosse, annotés et expliqués par le Bienfaiteur. Après les avoir déployés devant lui sur la table, il les parcourut un moment, et finit par s’oublier dans une profonde rêverie.
    Ghérassime, qui entr’ouvrait la porte de temps à autre, trouvait toujours Pierre dans la même position. Deux heures se passèrent ainsi. Le vieux serviteur se permit alors de faire un peu de bruit, mais ce fut inutile, Pierre n’entendit rien.
    « Faut-il renvoyer votre isvostchik ? lui demanda Ghérassime.
    – Ah oui ! répondit Pierre, revenant enfin à lui. Écoute, dit-il en attirant Ghérassime par un bouton de son habit et en le regardant de ses yeux brillants et humides… Écoute, il y aura une bataille demain, tu le sais… Ne me trahis pas, et fais ce que je te dirai.
    – Bien, dit laconiquement le vieux. Désirez-vous que je vous apporte à manger ?
    – Non, c’est autre chose qu’il me faut, apporte-moi un habillement complet de paysan et un pistolet.
    – Bien ! » répondit Ghérassime après avoir réfléchi un moment.
    Pierre passa le reste de la journée seul dans cette chambre, sans cesser d’y marcher de long en large, et le vieux serviteur l’entendit même se parler tout haut à plusieurs reprises. Il se coucha enfin dans le lit qui lui avait été préparé. Ghérassime, dans sa longue vie de domestique, avait vu bien des choses extraordinaires : aussi ne fut-il pas très surpris de l’étrange humeur de Pierre, et il était content d’avoir quelqu’un à servir. Le même soir il lui procura sans difficulté le caftan et le bonnet, et lui promit un pistolet pour le lendemain matin. Le vieil ivrogne idiot parut deux fois sur le seuil de la porte pendant la soirée : traînant toujours ses chaussures éculées, il s’arrêtait d’un air hébété pour regarder Pierre, et, dès que celui-ci se retournait, il croisait en grognant les pans de sa robe de chambre et s’éloignait au plus vite. C’est pendant que Pierre, ainsi déguisé en cocher, allait avec Ghérassime acheter un pistolet, qu’il rencontra les Rostow.

XIX
    Dans la nuit du 13 septembre, Koutouzow donna l’ordre aux troupes de se replier par Moscou sur la route de Riazan. Les premiers régiments se mirent en marche la nuit ; ils avançaient posément et sans se presser, mais, lorsque au point du jour, en arrivant au pont de Dorogomilow, ils aperçurent devant eux une foule innombrable envahissant le pont, s’étageant sur les hauteurs, se répandant par les rues et les carrefours et arrêtant la circulation ; quand ils se sentirent suivis par une masse tout aussi considérable de gens qui les poussaient en avant, les soldats, emportés par ce double mouvement, se précipitèrent en désordre sur le pont, sur les barques et jusque dans l’eau. Quant à Koutouzow, il traversa Moscou par des rues détournées. À dix heures du matin, le 14 septembre, il ne restait plus que l’arrière-garde dans le faubourg de Dorogomilow : tout le reste de l’armée avait opéré son passage.
    À la même heure, Napoléon, à cheval au milieu de ses troupes, examinait, du haut de la montagne Poklonnaïa, le panorama qui se déroulait devant ses yeux. Du 7 au 14 septembre, depuis Borodino jusqu’à l’entrée de l’ennemi, pendant toute cette semaine mémorable et agitée, il faisait à Moscou ce beau temps d’automne qu’on accepte toujours comme une agréable surprise, alors que les rayons du soleil, bas à l’horizon, scintillent dans l’air pur en éblouissant la vue et projettent une chaleur plus forte qu’au printemps ; alors que la poitrine se gonfle et se dilate en aspirant les brises parfumées ; alors que les nuits sont encore tièdes et que leurs ténèbres s’illuminent d’une pluie d’étoiles dorées, dont le mystérieux spectacle effraye les uns et réjouit les autres. La lumière du matin inondait Moscou d’un éclat féerique. Étendue aux pieds de la Poklonnaïa avec ses jardins, ses églises, sa rivière, ses coupoles brillantes comme des lingots d’or, aux rayons du soleil, ces constructions fantastiques d’une architecture étrange, la ville semblait vivre de sa vie habituelle ! Napoléon éprouvait, en la contemplant, cette curiosité

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