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La Guerre et la Paix - Tome III

La Guerre et la Paix - Tome III

Titel: La Guerre et la Paix - Tome III Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Léon Tolstoï
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Serguéïévitch, dit Boris d’un air dégagé, je tâche d’expliquer au comte notre position, et j’admire Son Altesse d’avoir si bien deviné les intentions de l’ennemi.
    – Vous parliez du flanc gauche ? demanda Kaïssarow.
    – Oui, justement, le flanc gauche est maintenant formidable ! ».
    Quoique Koutouzow eût renvoyé de son état-major tous les gens inutiles, Boris avait su y conserver sa position en se faisant attacher au comte Bennigsen. Celui-ci, comme tous ceux sous les ordres desquels Boris avait servi, faisait de lui le plus grand cas.
    L’armée était partagée en deux partis très distincts : celui de Koutouzow et celui de Bennigsen chef de l’état-major ; et Boris savait, avec beaucoup d’habileté, tout en témoignant un respect servile à Koutouzow, donner à entendre que ce vieillard était incapable de diriger les opérations, et que, de fait, c’était Bennigsen qui avait la haute main. On était maintenant à la veille de l’instant décisif qui devait accabler Koutouzow et faire passer le pouvoir entre les mains de Bennigsen, ou bien, si Koutouzow gagnait la bataille, on ne manquerait pas de faire comprendre que tout l’honneur en revenait à Bennigsen. Dans tous les cas, de nombreuses et importantes récompenses seraient distribuées après la journée du lendemain, et donneraient de l’avancement à une fournée d’inconnus. Cette prévision causait à Boris une agitation fébrile.
    Pierre fut bientôt entouré par plusieurs officiers de sa connaissance, arrivés à la suite de Kaïssarow ; il avait peine à répondre à toutes les questions qu’on lui adressait sur Moscou, et à suivre les récits de toute sorte qu’on lui faisait. Les physionomies avaient une expression d’inquiétude et de surexcitation, mais il crut remarquer que cette surexcitation était causée par des questions d’intérêt purement personnel, et il se rappelait ; involontairement cette autre expression, profonde et recueillie, qui l’avait si vivement frappé sur d’autres visages : ces gens-là, en s’associant de cœur à l’intérêt général, comprenaient qu’il s’agissait d’une question de vie ou de mort pour chacun ! Koutouzow, apercevant Pierre dans le groupe, le fit appeler par son aide de camp ; Pierre se dirigea aussitôt vers lui, mais au même moment un milicien, le devançant, s’approcha également du commandant en chef : c’était Dologhow.
    « Et celui-là, comment est-il ici ? demanda Pierre.
    – Cet animal-là se faufile partout, lui répondit-on ; il a été dégradé, il faut bien qu’il revienne sur l’eau… Il a présenté différents projets, et il s’est glissé jusqu’aux avant-postes ennemis… Il n’y a pas à dire, il est courageux. » Pierre se découvrit avec respect devant Koutouzow, que Dologhow avait accaparé.
    « J’avais pensé, disait ce dernier, que si je prévenais Votre Altesse, elle me chasserait, ou me dirait que la chose lui était connue ?
    – Oui, c’est vrai, dit Koutouzow…
    – Mais aussi que, si je réussissais, je rendrais service à ma patrie, pour laquelle je suis prêt à donner ma vie ! Si Votre Altesse a besoin d’un homme qui ne ménage pas sa peau, je la prie de penser à moi, je pourrais peut-être lui être utile.
    – Oui, oui, » répondit Koutouzow, dont l’œil se reporta en souriant sur Pierre.
    En ce moment Boris, avec son habileté de courtisan, s’avança pour se placer à côté de Pierre, avec qui il eut l’air de continuer une conversation commencée.
    « Vous le voyez, comte, les miliciens ont mis des chemises blanches pour se préparer à la mort !… N’est-ce pas de l’héroïsme ? »
    Boris n’avait évidemment prononcé ces paroles qu’avec l’intention d’être entendu ; il avait deviné juste, car Koutouzow, s’adressant à lui, lui demanda ce qu’il disait de la milice. Il répéta sa réflexion :
    « Oui, c’est un peuple incomparable ! – dit Koutouzow, et, fermant les yeux, il hocha la tête : – Incomparable ! – murmura-t-il une seconde fois : –Vous voulez donc sentir la poudre, dit-il à Pierre, une odeur agréable, je ne dis pas !… J’ai l’honneur de compter parmi les adorateurs de madame votre femme ; comment va-t-elle ?… Mon bivouac est à vos ordres !»
    Comme il arrive souvent aux vieilles gens, Koutouzow détourna la tête d’un air distrait ; il semblait avoir oublié tout ce qu’il avait à dire, et tout ce qu’il

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