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La Guerre et la Paix - Tome III

La Guerre et la Paix - Tome III

Titel: La Guerre et la Paix - Tome III Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Léon Tolstoï
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là pour en jouir ! » Il regarda la rangée de bouleaux dont l’écorce blanche, se détachant sur leur teinte uniforme, brillait au soleil : « Eh bien, qu’on me tue demain ! Que ce soit fini, et qu’il ne soit plus question de moi ! » Il se représenta vivement la vie sans lui ; ces bouleaux pleins d’ombre et de lumière, ces nuages moutonnant, les feux des bivouacs, tout prit soudain un aspect effrayant et menaçant. Un frisson le saisit, il se leva vivement et sortit du hangar pour marcher. Il entendit des voix.
    « Qui est-là ? » dit-il.
    Timokhine, le capitaine au nez rouge, l’ancien chef de compagnie de Dologhow, devenu chef de bataillon par suite du manque d’officiers, s’approcha timidement, suivi de l’aide de camp et du caissier du régiment. Le prince André écouta leur rapport, leur donna ses instructions, et allait les congédier lorsqu’il entendit une voix connue.
    « Que diable ! » disait cette voix.
    Le prince André se retourna, et aperçut Pierre, qui s’était heurté à une auge. Il éprouvait toujours un sentiment pénible à se retrouver avec les personnes qui lui rappelaient son passé ; aussi la vue de Pierre, qui avait été si intimement mêlé au douloureux dénoûment de son dernier séjour à Moscou, en augmenta la violence.
    « Ah ! vous voilà ! dit-il, par quel hasard ? Je ne vous attendais certes pas ! »
    En prononçant ces paroles, ses yeux et sa figure prirent un air plus que sec, c’était comme de l’inimitié ; Pierre le remarqua aussitôt, et l’empressement qu’il mettait à s’approcher du prince André se changea en embarras.
    « Je suis venu… vous savez… enfin… je suis venu parce que c’est fort intéressant, répondit-il en répétant pour la centième fois de la journée la même phrase : – Je tenais à assister à une bataille !
    – Ah ! vraiment !… Et vos frères les francs-maçons, qu’en diront-ils ? ajouta le prince André d’un air railleur… Que fait-on à Moscou ? Que font les miens ? Y sont-ils enfin arrivés ? ajouta-t-il plus sérieusement.
    – Ils y sont, Julie Droubetzkoï me l’a dit ; je suis allé aussitôt les voir, mais je les ai manqués, ils étaient partis pour votre terre. »

VII
    Les officiers firent un mouvement pour se retirer, mais le prince André, ne désirant pas rester en tête-à-tête avec son ami, les retint en leur offrant un verre de thé. Ils examinaient curieusement la massive personne de Pierre, et écoutaient, sans broncher, ses récits sur Moscou et sur les positions de nos troupes, qu’il venait de visiter. Le prince André gardait le silence, et l’expression désagréable de sa physionomie portait Pierre à s’adresser de préférence au chef de bataillon Timokhine ; celui-là l’écoutait avec bonhomie.
    « Tu as donc compris la disposition de nos troupes ? demanda le prince André, en l’interrompant tout à coup.
    – Oui… c’est-à-dire autant qu’un civil peut comprendre ces choses-là… J’en ai saisi le plan général.
    – Eh bien, vous êtes plus avancé que qui que ce soit, dit en français le prince André.
    – Ah ! dit Pierre stupéfait en le regardant par-dessus ses lunettes. Mais alors que pensez-vous de la nomination de Koutouzow ?
    – Elle m’a fait plaisir, c’est tout ce que j’en puis dire.
    – Et quelle est votre opinion sur Barclay de Tolly ?… Dieu sait ce qu’on en dit à Moscou…, et ici, qu’en dit-on ?
    – Mais demandez-le à ces messieurs, » répondit le prince André.
    Pierre se tourna vers Timokhine, de l’air souriant et interrogateur que chacun prenait involontairement en s’adressant au brave commandant.
    « La lumière s’est faite, Excellence, lorsque Son Altesse a pris le commandement, répondit-il timidement en jetant des regards furtifs à son chef.
    – Comment cela ? demanda Pierre.
    – Par exemple, le bois et le fourrage ? Lorsque notre retraite a commencé après Svendziani, nous n’osions prendre nulle part ni foin ni fagots, et pourtant nous nous en allions… Cela lui restait donc, à « lui », n’est-ce pas, Excellence ? ajouta-t-il en s’adressant à « Son » prince… Et gare à nous si nous le faisions ! Deux officiers de notre régiment ont passé en jugement pour des histoires de ce genre ; mais lorsque Son Altesse a été nommée commandant en chef, tout est devenu clair comme le jour !
    – Mais alors pourquoi l’avait-on défendu ? »
    Timokhine,

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