La jeune fille à la perle
de
rejoindre Tanneke et Maertge.
Elles s’étaient arrêtées à un
étal situé un peu plus loin. Ce boucher-là était un bel homme aux boucles
blondes grisonnantes, aux yeux bleus et vifs.
« Pieter, je vous présente
Griet, dit Tanneke. À l’avenir, c’est elle qui viendra acheter la viande. Vous
mettrez ça sur notre compte, comme d’habitude. »
J’essayai de garder les yeux
sur son visage, mais je ne pus m’empêcher de remarquer son tablier éclaboussé
de sang. Notre boucher, lui, avait toujours un tablier propre lorsqu’il vendait,
en changeant sitôt qu’il était taché.
« Ah ! » Pieter
m’examina comme si j’étais un poulet dodu qu’il envisageait de rôtir.
« Alors, Griet, qu’aimerais-tu aujourd’hui ? »
Je me tournai vers Tanneke.
« Quatre livres de côtelettes et une livre de langue »,
ordonna-t-elle.
Pieter sourit. « Et vous,
mademoiselle, qu’en pensez-vous ? demanda-t-il à Maertge. N’est-ce pas que
je vends la meilleure langue de Delft ? »
Maertge approuva de la tête et
se mit à rire en contemplant l’étalage de rôtis, côtelettes, langues, pieds de
porc et saucisses.
« Vois-tu, Griet, tu
t’apercevras que j’ai la meilleure viande et aussi les balances les plus
honnêtes de tout le marché ! dit Pieter en pesant la langue de boeuf. Tu
n’auras pas à te plaindre de moi. »
Je regardai son tablier et me
retins de lui répondre. Pieter mit dans mon seau les côtelettes et la langue,
il m’adressa un clin d’oeil et passa au client suivant.
Nous nous rendîmes ensuite au
marché aux poissons. Des mouettes planaient au-dessus des étals, guettant les têtes
et les viscères de poisson que les poissonniers jetaient dans le canal. Tanneke
me présenta à leur poissonnier, différent du nôtre, lui aussi. Je devais faire
alterner chaque jour viande et poisson.
Lorsque nous repartîmes du
marché, je n’avais aucune envie de retourner chez eux, de retrouver Catharina,
les enfants sur le banc, je voulais rentrer chez nous, surprendre ma mère dans
sa cuisine et lui donner le seau rempli de côtelettes. Nous n’avions pas mangé
de viande depuis des mois.
*
À notre retour, Catharina
peignait les cheveux de Cornelia. Elles ne prêtèrent pas attention à moi.
J’aidai Tanneke à préparer le repas, je retournai la viande sur le gril,
j’allai chercher couverts, assiettes et verres pour mettre la table dans la
grande salle, je coupai le pain.
Le repas prêt, les enfants
rentrèrent. Maertge rejoignit Tanneke à la cuisine tandis que les autres
s’asseyaient dans la grande salle. Je venais de mettre la langue dans le
garde-manger situé dans une remise – Tanneke l’ayant laissée dehors, un des
chats avait failli s’y intéresser – quand il apparut, venant du dehors, dans
l’embrasure de la porte, au fond du long couloir, coiffé de son chapeau et vêtu
de sa houppelande. Je demeurai immobile, il s’arrêta, l’effet de contre-jour
m’empêchait de voir son visage, je ne pouvais savoir si c’était moi qu’il
regardait. Au bout d’un moment, il disparut dans la grande salle.
Tanneke et Maertge servirent le
repas tandis que je m’occupais du bébé dans la salle de la Crucifixion. Le
service terminé, Tanneke me rejoignit. Nous eûmes droit au même repas que la
famille : des côtelettes, des panais, du pain et de la bière. Même si la
viande de Pieter n’était pas meilleure que celle de notre boucher, j’en
appréciai le goût après m’en être passée si longtemps. Ici, nous avions droit à
du pain de seigle au lieu de ce pain brun, bon marché, que nous avions à la
maison, quant à la bière, elle était moins allongée d’eau.
N’ayant
pas servi à table, je ne le vis pas. De temps à
autre, sa voix me parvenait, en général après celle de Maria Thins. À leur ton,
il était clair qu’ils s’entendaient bien.
Après avoir débarrassé la
table, Tanneke et moi passâmes la serpillière à la cuisine et dans les remises.
Les murs de la cuisine et de la buanderie étaient peints en blanc, la cheminée
était recouverte de carreaux bleu et blanc, en faïence de Delft, représentant
d’un côté des oiseaux, d’un autre des bateaux et un peu plus loin des soldats.
Je les étudiai de près, aucun n’avait été peint par mon père. Je repassai
presque toute la journée dans la buanderie, m’arrêtant pour ranimer le feu,
pour aller chercher du bois ou pour mettre le nez dans la cour, en quête
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