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La jeune fille à la perle

La jeune fille à la perle

Titel: La jeune fille à la perle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Tracy Chevalier
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vous avez
mis de côté les légumes blancs, reprit-il en montrant les navets et les
oignons. Tiens, ceux de couleur orange ne voisinent pas avec ceux de couleur
pourpre, pourquoi ça ? » Il ramassa une tranche de chou et un bout de
carotte, les secoua dans sa main comme des dés.
    Je regardai ma mère, elle hocha
discrètement la tête.
    « Les couleurs jurent
parfois quand elles sont côte à côte, Monsieur. »
    Il fronça les sourcils, de
toute évidence il ne s’attendait pas à cette réponse. « Dites-moi, vous
passez beaucoup de temps à disposer les légumes avant de faire la soupe ?
    — Oh non !
Monsieur », répondis je confuse, je ne voulais pas qu’il crût que je
gaspillais mon temps. Du coin de l’oeil, j’entrevis un mouvement. Ma soeur Agnès
nous épiait, tapie derrière le montant de la porte. En entendant ma réponse,
elle avait secoué la tête. Il était rare que je mente. Je baissai les yeux.
    L’homme tourna légèrement la
tête, Agnès disparut. Il laissa retomber les morceaux de carotte et de chou
parmi leurs semblables. Le chou se retrouva en partie avec les oignons.
J’aurais voulu tendre la main pour le remettre à sa place. Je me retins, ce
qu’il devina. Il me mettait à l’épreuve.
    « Assez bavardé comme
ça », déclara la femme. Si agacée fût-elle par l’attention qu’il me
portait, c’est moi qu’elle fustigea du regard. « Nous disons donc à
demain ? » Elle se tourna vers l’homme avant de sortir
majestueusement de la pièce, suivie par ma mère. L’homme jeta un dernier coup
d’oeil à ce qui devait être la soupe, puis il me salua de la tête et suivit les
femmes.
    Lorsque ma mère revint, j’étais
assise à côté du cercle que formaient les légumes. J’attendis qu’elle parle.
Bien que nous fûmes en été et qu’il fît chaud à la cuisine, elle était
recroquevillée sur elle-même comme pour se garantir des frimas.
    « Tu entreras demain à
leur service. S’ils sont contents de toi, tu gagneras huit florins par jour. Tu
logeras chez eux. »
    Je gardai le silence.
    « Voyons, Griet, ne me
regarde pas comme ça, poursuivit ma mère. Il le faut, maintenant que ton père a
perdu son travail.
    Où habitent-ils ?
    À l’angle de l’Oude Langendijck
et de Molenpoort.
    Tu veux dire le Coin des
papistes ? Ils sont catholiques ?
    Tu pourras rentrer à la maison
le dimanche, ils y consentent. »
    Ma mère plaça ses mains autour
des navets, les fit glisser, ramassant au passage une partie du chou et des
oignons, puis elle laissa tomber le tout dans une marmite d’eau qui attendait
sur le feu.
    Fini, les belles parts de tarte
que j’avais arrangées avec tant de soin !
     
    *
     
    Je
grimpai l’escalier pour aller trouver mon père. Il était assis sous les
combles, près de la fenêtre, la lumière effleurait son visage. Faute de mieux,
c’était sa façon de voir, maintenant.
    Mon père était artiste
céramiste. Ses doigts étaient bleus à force de peindre cupidons, damoiselles,
soldats, bateaux, enfants, poissons, fleurs ou animaux sur des carreaux blancs
avant de les vernir, de les passer au four et de les vendre. Un jour, le four
avait explosé, le privant et de ses yeux et de son commerce. Il avait eu de la
chance. Deux de ses compagnons étaient morts. Je m’assis près de lui et lui
pris la main. « J’ai entendu, dit-il, sans me donner le temps d’ouvrir la
bouche. J’ai tout entendu. » Ses oreilles compensaient des yeux qui n’étaient
plus.
    Je ne trouvais rien à dire qui
ne parût pas un reproche.
    « Je te demande pardon,
Griet, j’aurais voulu mieux faire pour toi. » On pouvait lire certaine
tristesse à l’endroit où se trouvaient jadis ces paupières que le docteur avait
à jamais cousues.
    « Mais c’est un homme
honnête et bon. Il te traitera bien. »
    Il n’ajouta rien au sujet de la
femme. « Comment pouvez-vous en être aussi sûr, père ? Vous le
connaissez ?
    — Ne sais-tu pas qui il
est ?
    Non.
    Ne te rappelles-tu pas le
tableau que nous avons vu il y a quelques années, à l’hôtel de ville, où Van
Ruijven l’avait exposé après l’avoir acheté ? C’était une vue de Delft
depuis les portes de Rotterdam et de Schiedam. Le ciel y tenait une très grande
place et le soleil éclairait certains édifices.
    Et du sable avait été ajouté à
la peinture pour donner un aspect rugueux à la brique et aux toits, ajoutai-je.
De grandes ombres s’étiraient sur le canal et de

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