La Jolie Fille de Perth (Le Jour de Saint-Valentin)
Henry, dit le vieillard en emplissant deux verres, un pour lui et un pour son compagnon. Je vois bien que quelque bon forgeron que tu sois, tu ne connais pas le métal dont les femmes sont faites. Il faut que tu sois plus hardi, Henry, et que tu te comportes non comme si tu marchais au gibet, mais en joyeux jeune homme qui sait ce qu’il vaut, et qui ne supporte pas le mépris de la meilleure des petites-filles d’Ève. Catherine est une femme comme sa mère, et tu te trompes grandement si tu penses que toutes les femmes se laissent prendre par les yeux. Il faut plaire à leurs oreilles, mon garçon. Il faut qu’une femme sache que celui à qui elle accorde la préférence est hardi et décidé, et qu’il pourrait obtenir les bonnes grâces d’une vingtaine d’autres, quoiqu’il recherche les siennes. Crois-en un vieillard, les femmes se décident plus souvent par l’opinion des autres que par la leur. Que Catherine demande quel est l’homme le plus résolu de Perth ; que lui répondra-t-on ? Henry le forgeron ; le meilleur armurier qui ait jamais forgé une arme sur l’enclume ? Henry Smith ; le danseur qui va le plus en mesure autour du mai ? le joyeux armurier ; celui qui chante les meilleures ballades ? Henry Gow ; le meilleur lutteur, celui qui manie le mieux le sabre et le bouclier, le roi du bâton à deux bouts, celui qui sait dompter un cheval et mettre à la raison un montagnard sauvage ? c’est encore toi… toujours toi… personne que toi… Et Catherine te préférerait cet avorton de montagnard ! fi ! Elle ferait tout aussi bien un gantelet d’acier avec une peau de chevreuil. Je te dis que Conachar n’est rien pour elle, si ce n’est qu’elle voudrait le sauver des griffes du diable, qui le regarde comme lui appartenant ainsi que les autres montagnards. Que le ciel la bénisse, la pauvre fille ! Elle voudrait ramener le genre humain tout entier à de meilleures pensées, si elle le pouvait.
– Et je réponds qu’elle n’y réussira pas, s’écria Smith, qui, comme le lecteur peut l’avoir remarqué, n’avait pas des dispositions amicales pour la race des montagnards ; je gagerais contre Catherine en faveur du diable, que je devrais un peu connaître puisqu’il travaille dans le même élément que moi. Le diable aura le tartan {32} , rien n’est plus sûr.
– Fort bien, mais Catherine a un second que tu ne connais guère. Le père Clément a entrepris le jeune maraudeur ; et le père Clément ne craint pas plus une centaine de diables que je n’ai peur d’une troupe d’oies.
– Le père Clément ! vous faites toujours quelque nouveau saint dans cette bonne ville de Saint-Jonhstoun. Et qui peut être ce dénicheur de diables ? Est-ce quelqu’un de vos ermites qui se prépare à faire des miracles comme un athlète à lutter, et qui s’y dispose à force de jeûne et de pénitence ? N’est-ce pas cela ?
– Pas du tout. La merveille, c’est que le père Clément boit, mange, et se conduit à peu près comme le reste des hommes, tout en observant strictement les commandemens de l’Église.
– Oh ! je comprends, c’est un bon vivant de prêtre, qui pense à vivre joyeusement plutôt qu’à bien vivre, qui vide une cruche de vin la veille du mercredi des Cendres pour se mettre en état de faire face au carême, qui a un agréable in principio , et qui confesse toutes les plus jolies femmes de la ville.
– Tu donnes encore à gauche, Smith. Je te dirai que ma fille et moi nous flairerions de bien loin un hypocrite qui serait à jeun ou bien repu ; mais le père Clément n’est ni l’un ni l’autre.
– Mais qu’est-il donc, au nom du ciel ?
– Un homme qui vaut beaucoup mieux que la moitié des moines de Saint-Johnstoun mis tous ensemble, ou qui est tellement pire que le pire d’entre eux, que c’est une honte et un péché de souffrir qu’il reste dans le pays.
Il me semble qu’il doit être aise de dire s’il est l’un ou l’autre.
– Contentez-vous de savoir que si vous jugez le père Clément par ce que vous le voyez faire et par ce que vous l’entendez dire, vous le regarderez comme l’homme le meilleur et le plus bienfaisant du monde entier, ayant une consolation pour celui qui est dans l’affliction, un conseil pour quiconque est dans l’embarras, le guide le plus sûr du riche et l’ami le plus zélé du pauvre. Mais si vous écoutez ce qu’en disent les dominicains… Merci du ciel – ici le gantier
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