La Jolie Fille de Perth (Le Jour de Saint-Valentin)
de dessous de notre temps ; mais elle était à l’épreuve, et il y pouvait compter, car chaque anneau en avait été travaillé et joint aux autres de ses propres mains. Par-dessus cette armure défensive il portait, comme les autres bourgeois de son âge, les hauts-de-chausses et le pourpoint flamand, qui en honneur du jour de fête étaient du plus beau drap d’Angleterre, d’un bleu pâle, tailladé en satin noir et passementé d’une broderie en soie noire. Ses bottes étaient de cuir de Cordoue, et son manteau de bon drap gris d’Écosse servait à cacher un couteau de chasse suspendu à sa ceinture. C’était sa seule arme offensive, car il n’avait en main qu’un bâton de houx. Sa toque de velours noir était doublée d’acier, et rembourrée entre le métal et sa tête, ce qui formait un nouveau moyen de défense de l’efficacité duquel il était sûr.
Au total Henry paraissait ce qu’il était réellement, un riche bourgeois méritant la considération, et se donnant par ses vêtemens autant d’importance qu’il le pouvait sans s’élever au-dessus de son rang et sans empiéter sur celui de la noblesse. Il avait une tournure franche et résolue ; mais quoique ses manières annonçassent qu’il ne craignait aucun danger, elles n’avaient nulle ressemblance à celles des spadassins et fiers-à-bras de cette époque avec lesquels on avait quelquefois l’injustice de confondre Henry, parce qu’on attribuait les querelles qu’il avait souvent à un caractère violent, résultat de sa confiance dans sa force et dans son adresse à manier les armes. Au contraire, tous ses traits portaient l’expression de franchise et de bonne humeur d’un homme qui ne songeait à insulter personne et qui ne craignait pas les insultes.
S’étant costumé de son mieux, l’honnête armurier plaça sur son cœur, qui tressaillit en y touchant, un petit présent qu’il avait préparé depuis long-temps pour Catherine Glover, présent que sa qualité de Valentin lui permettrait bientôt de lui présenter, et autoriserait également la Jolie Fille de Perth à accepter sans scrupule. C’était un petit rubis taillé en forme de cœur percé d’une flèche d’or, et enfermé dans une petite bourse en anneaux d’acier, travaillée avec le même soin que si c’eût été un haubert pour un roi. Autour de la bourse étaient ces mots :
« Le dard de l’amour perce tes cœurs à travers tes cottes de mailles. »
Cette devise avait coûté quelques réflexions à l’armurier, et il était satisfait de la pensée qu’il avait trouvée, parce qu’elle semblait indiquer que son art pouvait défendre tous les cœurs, excepté le sien. Il s’enveloppa de son manteau, et traversa à la hâte les rues encore silencieuses, afin de se trouver devant la fenêtre qui lui avait été indiquée, un peu avant le premier rayon de l’aurore.
Dans ce dessein il traversa High-Street, et prenant le passage sur l’emplacement duquel se trouve aujourd’hui l’église de Saint-Jean ; afin de se rendre dans Curfew-Street, il lui parut d’après l’apparence du ciel qu’il était parti au moins une heure trop tôt, et il pensa qu’il vaudrait mieux n’arriver au rendez-vous qui lui avait été donné que lorsque le moment convenu serait plus voisin. Il n’était pas invraisemblable que d’autres galans rôdassent comme lui dans les environs de la demeure de la Jolie Fille de Perth, et il connaissait assez bien son faible pour sentir qu’il courait grand risque d’avoir quelque querelle avec eux.
– L’amitié de mon père Simon, pensa-t-il, me donne l’avantage sur eux ; pourquoi donc me teindrais-je les mains du sang de pauvres diables qui ne méritent pas ma colère, puisqu’ils sont moins heureux que moi ? Non, non, je serai sage pour cette fois, et j’éloignerai toute tentation de mettre les armes à la main. Je ne leur laisserai pas, pour me chercher querelle, plus de temps qu’il ne m’en faudra pour donner le signal convenu, et pour que mon père Simon y réponde. Je ne conçois pas comment il viendra à bout de faire paraître sa fille à la croisée. Si elle savait quel est son dessein, je crois qu’il aurait quelque peine à l’exécuter.
Tandis que ces pensées dignes d’un amant roulaient dans son esprit, le robuste armurier ralentit le pas, jetant souvent un regard du côté de l’orient et levant les yeux vers le firmament, où pas la moindre teinte grisâtre n’annonçait
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