La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak
Gueux !
– Vive le Gueux ! crie toute la troupe des prisonniers.
– Les arquebusiers ne cessent point de tirer, dit Nele, ils
tombent comme des mouches, éclairés qu’ils sont par la lueur des
torches. Vive le Gueux !
– Vive le Gueux ! crie la troupe des sauveurs.
– Vive le Gueux ! crient Ulenspiegel et les prisonniers.
Les Espagnols sont dans un cercle de fer. Tue ! tue ! il
n’en reste plus un debout. Tue ! pas de pitié, la guerre sans
merci. Et maintenant troussons notre bagage et courons jusqu’à
Enckhuyse. Qui a les habits de drap et de soie des bourreaux ?
Qui a leurs armes ?
– Tous ! tous ! crient-ils. Vive le Gueux !
Et de fait, ils s’en vont en bateau vers Enckhuyse, où les
Allemands délivrés avec eux demeurèrent pour garder la ville.
Et Lamme, Nele et Ulenspiegel retrouvent leurs navires. Et de
nouveau les voici chantant sur la mer libre : Vive le
Gueux !
Et ils croisent dans la rade de Flessingue.
XIII
Là, de nouveau, Lamme fut joyeux. Il descendait volontiers à
terre, chassant comme lièvres, cerfs et ortolans, les bœufs,
moutons et volailles.
Et il n’était pas seul à cette chasse nourrissante. Il faisait
bon alors voir revenir les chasseurs, Lamme à leur tête, tirant par
les cornes le gros bétail, poussant le petit, menant à la baguette
des troupeaux d’oies, et portant au bout de leurs gaffes des
poules, poulets et chapons nonobstant la défense.
C’était alors noces et festins sur les navires. Et Lamme
disait :
– L’odeur des sauces monte jusqu’au ciel, y réjouissant
messieurs les anges, qui disent : C’est le meilleur de la
viande.
Tandis qu’ils croisaient, vint une flotte marchande de Lisbonne,
dont le commandant ignorait que Flessingue fût tombé au pouvoir des
Gueux. On lui ordonne de jeter l’ancre, elle est enveloppée. Vive
le Gueux ! Tambours et fifres sonnent l’abordage ; les
marchands ont des canons, des piques, des haches, des
arquebuses.
Balles et boulets pleuvent des navires des Gueux. Leurs
arquebusiers, retranchés autour du grand mât dans leurs fortins de
bois, tirent à coup sûr, sans danger. Les marchands tombent comme
des mouches.
– À la rescousse ! disait Ulenspiegel à Lamme et à Nele, à
la rescousse ! Voici des épices, des joyaux, des denrées
précieuses, sucre, muscade, girofle, gingembre, réaux, ducats,
moutons d’or tout brillants. Il y a plus de cinq cent mille pièces.
L’Espagnol payera les frais de la guerre. Buvons ! Chantons la
messe des Gueux, c’est la bataille.
Et Ulenspiegel et Lamme couraient partout comme lions. Nele
jouait du fifre, à l’abri dans le fortin de bois. Toute la flotte
fut prise.
Les morts ayant été comptés, il y en eut mille du côté des
Espagnols, trois cents du côté des Gueux, parmi eux se
trouva : le maitre-queux du flibot
la Briele
.
Ulenspiegel demanda de parler devant Très-Long et les
matelots : ce que Très-Long lui accorda volontiers. Et il leur
tint ce discours :
– Messire capitaine, et vous compères, nous venons d’hériter de
beaucoup d’épices, et voici Lamme, la bonne bedaine, qui trouve que
le pauvre mort qui est là, Dieu le tienne en joie, n’était pas
assez grand docteur en fricassées. Nommons-le en sa place, et il
vous préparera de célestes ragoûts et des potages
paradisiaques.
– Nous le voulons, dirent Très-Long et les autres, Lamme sera le
Maître-Queux du navire. Il portera la grande louche de bois pour
écarter les mousses de ses sauces.
– Messire capitaine, compères et amis, dit Lamme, vous me voyez
pleurant d’aise, car je ne mérite point un si grand honneur.
Toutefois, puisque vous daignez recourir à mon indignité, j’accepte
les nobles fonctions de maître ès arts de fricassées sur le
vaillant flibot
la Briele
, mais en vous priant humblement
de m’investir du commandement suprême de cuisine, de telle façon
que votre Maître-Queux, – ce sera moi, – puisse par droit, loi et
force, empêcher un chacun de venir manger la part des autres.
Très-Long et les Gueux s’écrièrent :
– Vive Lamme ! tu auras droit, loi et force.
– Mais j’ai, dit-il, autre prière à vous faire humblement !
je suis gras, grand et robuste, profonde est ma bedaine, profond
mon estomac ; ma pauvre femme, – que Dieu me la rende, – me
baillait toujours deux portions au lieu d’une : octroyez-moi
cette faveur.
Très-Long, Ulenspiegel et les matelots dirent :
– Tu auras les deux
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