La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak
et se réjouissaient
plus d’un bûcher éteint par les Gueux, que le roi noir n’avait de
joie de l’incendie d’une ville.
En ce temps-là, Guillaume le Taiseux prince d’Orange cassa de
son grade d’amiral messire de Lumey de la Marck, à cause de ses
grandes cruautés. Il nomma messire Bouwen Ewoutsem Worst en sa
place, il avisa pareillement aux moyens de payer le blé pris par
les Gueux aux paysans, de restituer les contributions forcées
levées sur eux, et d’accorder aux catholiques romains, comme à
nous, le libre exercice de leur religion, sans persécution ni
vilenie.
XVI
Sur les vaisseaux des Gueux, sous le ciel brillant, sur les
flots clairs, glapissent fifres, geignent cornemuses, glougloutent
flacons, tintent verres, brille fer des armes.
– Or ça, dit Ulenspiegel, battons tambour de gloire, battons
tambour de joie. Vive le Gueux ! L’Espagne est vaincue,
domptée est la goule. À nous la mer, la Briele est prise. À nous la
côte depuis Nieuport, en passant par Ostende, Blanckenberghe ;
les îles de Zélande, bouches de l’Escaut, bouches de la Meuse,
bouches du Rhin jusqu’au Helder. À nous Texel, Vlieland,
Ter-Schelling, Ameland, Rottum, Borkum. Vive le Gueux !
» À nous Delft, Dordrecht. C’est traînée de poudre. Dieu tient
la lance à feu. Les bourreaux abandonnent Rotterdam. La libre
conscience, comme un lion ayant griffes et dents de justice, prend
le comté de Zutphen, les villes de Deutecom, Dœsburg. Goor,
Oldenzeel, et sur la Welnuire, Hattem, Elburg et Harderwyck. Vive
le Gueux !
» C’est l’éclair, c’est la foudre : Campen, Zwol, Hassel,
Steenwyck, tombent en nos mains avec Oudewater, Gouda, Leyde. Vive
le Gueux !
» À nous Bueren, Enckhuyse ! Nous n’avons point encore
Amsterdam, Schoonhoven ni Middelburg. Mais tout vient à temps aux
lames patientes. Vive le Gueux !
» Buvons le vin d’Espagne. Buvons dans les calices où ils burent
le sang des victimes. Nous irons par le Zuyderzee, par fleuves,
rivières et canaux ; nous avons la Noord-Holland, la
Zuid-Holland et la Zélande ; nous prendrons l’Oost et le
West-Frise, la Briele sera le refuge de nos vaisseaux, le nid des
poules couveuses de liberté. Vive le Gueux !
» Ecoutez en Flandre, patrie aimée, éclater le cri de vengeance.
On fourbit les armes, on donne le fil aux glaives. Tous se meuvent,
vibrent comme les cordes d’une harpe au souffle chaud, souffle
d’âmes qui sort des fosses, des bûchers, des cadavres saignants des
victimes. Tous : Hainaut, Brabant, Luxembourg, Limbourg,
Namur, Liége, la libre cité, tous ! Le sang germe et féconde.
La moisson est mûre pour la faux. Vive le Gueux !
» À nous le Noord-Zee, la large mer du Nord. À nous les bons
canons, les fiers navires, la troupe hardie de marins
redoutables : bélîtres, larrons, prêtres-soudards,
gentilshommes, bourgeois et manouvriers fuyant la persécution. À
nous tous unis pour l’œuvre de liberté. Vive le Gueux !
» Philippe, roi de sang, où es-tu ? D’Albe, où es-tu ?
Tu cries et blasphèmes, coiffé du saint chapeau, don du Saint-Père.
Battez le tambour de joie. Vive le Gueux ! Buvons.
» Le vin coule dans les calices d’or. Humez le piot joyeusement.
Les habits sacerdotaux couvrant les rudes hommes sont inondés de la
rouge liqueur ; les bannières ecclésiastiques et romaines
flottent au vent. Musique éternelle ! à vous, fifres
glapissant, cornemuses geignant, tambours battant roulements de
gloire. Vive le Gueux !
XVII
Le monde était pour lors dans le mois du loup, qui est le mois
de décembre. Une aigre pluie tombait comme des aiguilles dans le
flot. Les Gueux croisaient dans la Zuiderzee. Messire l’amiral
manda à son de trompette sur son navire les capitaines des houlques
et flibots, et ensemble avec eux Ulenspiegel.
– Or çà, dit-il, parlant d’abord à lui, le prince veut
reconnaître tes bons devoirs et féaulx services et te nomme
capitaine du navire
la Briele
. Je t’en remets ici la
commission sur parchemin.
– Grâces vous soient rendues, messire amiral, répondit
Ulenspiegel ; je capitainerai de tout mon petit pouvoir, et
ainsi capitainant, j’ai grand espoir, si Dieu m’aide, de
décapitainer Espagne des pays de Flandre et Hollande : je veux
dire de la Zuid et Noord-Neerlande.
– Ceci est bien, dit l’amiral. Et maintenant, ajouta-t-il
parlant à tous, je vous dirai que ceux d’Amsterdam la Catholique
vont assiéger Enckhuyse. Ils ne sont pas
Weitere Kostenlose Bücher