LA LETTRE ÉCARLATE
et de profonds yeux noirs. Elle avait l’allure d’une grande dame aussi, d’après les canons de la noblesse d’alors caractérisés par une certaine dignité majestueuse plutôt que par l’indescriptible grâce évanescente qui est à présent reconnue pour en être l’indice. Et jamais Hester Prynne n’avait eu autant l’air d’une grande dame dans cette ancienne acception du terme que lorsqu’elle sortit de prison. Ceux qui la connaissaient avant et avaient compté la voir ternie par les nuages du désastre furent stupéfaits et même troublés en voyant combien sa beauté était éclatante et transformait en halo l’ignominie et le malheur qui l’entouraient. Il est vrai, qu’aux yeux d’un spectateur très sensible, quelque chose d’exquisement douloureux aurait pu paraître s’y mêler. Les vêtements qu’elle avait façonnés pour ce jour en prison paraissaient exposer son état d’esprit, révéler une sorte d’insouciance désespérée, par la vive originalité de leurs détails. Mais ce qui attirait tous les regards et transfigurait en quelque sorte la femme ainsi vêtue, si bien qu’hommes et femmes de son ancien entourage étaient à présent frappés comme s’ils la voyaient pour la première fois, c’était la LETTRE ÉCARLATE si fantastiquement brodée sur son sein. Elle faisait l’effet d’un charme qui aurait écarté Hester Prynne de tous rapports ordinaires avec l’humanité et l’aurait enfermée dans une sphère pour elle seule.
– Elle est bonne ouvrière d’aiguille, pour sûr, remarqua une des spectatrices, mais y eut-il jamais femme avant cette effrontée coquine pour faire montre de pareille adresse en pareille occasion ? Çà, voisines, n’est-ce point là façon de se gausser de nos magistrats en se faisant gloire de ce que ces dignes seigneurs entendaient être punition ?
– On ferait bien, marmotta celle de ces matrones qui avait le plus implacable visage, d’arracher cette belle robe des belles épaules de dame Hester. Et quant à la lettre écarlate qu’elle a si curieusement ouvrée, je donnerais un bout de ma vieille flanelle à rhumatismes pour en faire une plus séante !
– Oh, paix, voisines, paix ! murmura leur jeune compagne. Qu’elle n’aille surtout nous entendre ! Il n’est pas un point de cette lettre brodée qui ne lui ait percé le cœur.
Le sinistre prévôt fit, à ce moment, un geste de sa baguette.
– Place, bonnes gens, au nom du Roi, faites place ! cria-t-il. Livrez passage et je vous promets que M me Hester Prynne sera placée là où hommes, femmes et enfants la pourront bien voir, en son brave appareil, de cette heure à une heure après midi. Bénie soit la vertueuse colonie du Massachusetts où l’impureté est traînée au grand jour ! Venez, Madame Hester, faire voir votre lettre écarlate sur la Place du Marché !
Un chemin fut alors ouvert parmi la foule des spectateurs. Précédée par le prévôt et suivie par une procession désordonnée d’hommes aux fronts sévères et de femmes aux visages durs, Hester Prynne se dirigea vers le lieu de son châtiment. Une foule d’écoliers curieux et surexcités qui ne comprenaient pas grand-chose à l’affaire, sinon qu’elle leur valait une demi-journée de vacances, la précédèrent en courant sans cesser de tourner la tête pour la regarder, ainsi que l’enfant qui clignait des yeux dans ses bras et que la lettre qui rougeoyait sur sa poitrine. Il n’y avait pas, en ce temps-là, grande distance entre la porte de la prison et la Place du Marché. À la prisonnière, cependant, le parcours parut très long car, pour hautaine que fût sa contenance, chaque pas que faisaient les gens qui se pressaient autour d’elle lui était une agonie comme si son cœur avait été jeté dans la rue pour être piétiné par tous. Il y a toutefois, en notre nature, une merveilleuse, une miséricordieuse disposition qui veut que nous ne nous rendions jamais compte de l’intensité d’une souffrance pendant que nous l’endurons, mais ensuite seulement, d’après les élancements que nous en laisse le contrecoup. Ce fut donc d’un air qui pouvait passer pour serein qu’Hester Prynne supporta cette partie de son épreuve et parvint à l’extrémité ouest de la Place du Marché devant une manière d’estrade dressée, semblait-il, à demeure, presque à l’abri du toit de la première église de Boston. Cette estrade faisait, en fait, partie d’une machine
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