LA LETTRE ÉCARLATE
chez ce jeune pasteur quelque chose de transi, d’inquiet, d’effarouché – l’air de quelqu’un qui se serait senti perplexe et tout à fait perdu sur les routes de l’existence humaine, qui ne pourrait se sentir à l’aise que dans une retraite bien à lui. Aussi, dans la mesure où ses devoirs l’y autorisaient, ne foulait-il que les chemins de traverse les plus obscurs, gardant une simplicité d’enfant et faisant montre, lorsque les circonstances le contraignaient à se mettre au premier plan, d’une fraîcheur, d’une pureté de pensée telles, que bien des gens se disaient émus par ses accents comme par ceux d’un ange.
Tel était le jeune homme sur lequel le Révérend Wilson et Messire Bellingham le Gouverneur venaient d’attirer l’attention du public en l’adjurant de sonder, devant tous, le mystère qu’est une âme de femme, même entachée par le mal. La situation délicate où il se trouvait ainsi mis retira le sang de ses joues et fit frémir ses lèvres.
– Parle à cette femme, frère, dit le Révérend Wilson. L’heure est d’importance pour son âme et, par conséquent, ainsi que le vient de dire Messire le Gouverneur, d’importance aussi pour la tienne qui en eut le soin.
Le Révérend Dimmesdale baissa la tête comme pour une prière silencieuse puis, s’avançant, se pencha au-dessus du balcon :
– Hester Prynne, dit-il, en regardant fermement la femme dans les yeux, tu as entendu ce que cet homme pieux vient de dire et tu vois la responsabilité sous laquelle je plie. Si tu sens que ce sera pour la paix de ton âme, que ton châtiment terrestre sera ainsi rendu plus efficace pour ton salut éternel, je t’adjure de dire le nom de celui qui partagea ta faute et partage aujourd’hui ta souffrance ! Ne garde point le silence par suite d’une pitié ou d’une tendresse mal comprise envers cet homme car, crois-moi, Hester, lui fallût-il présentement descendre d’un rang élevé pour aller se tenir près de toi, cela vaudrait mieux pour lui que de cacher un cœur coupable toute sa vie durant. Que peux-tu faire pour lui en te taisant ? Rien, hormis le tenter, que dis-je l’obliger à joindre le péché d’hypocrisie au péché qu’il a commis déjà. Le ciel t’a accordé la grâce d’une expiation publique afin que tu puisses remporter ensuite, au vu de tous, un éclatant triomphe sur le mal qui fut au-dedans de toi. Prends garde de ne point écarter de lui, qui n’a peut-être pas le courage de s’en saisir lui-même, la coupe amère mais bienfaisante offerte à tes lèvres.
La voix du jeune pasteur était frémissante, entrecoupée, pleine de douceur profonde. Les sentiments qu’elle exprimait, par ses accents plutôt que par le sens des mots, la faisaient résonner dans le cœur des assistants. Tous vibraient à l’unisson d’une même sympathie. Jusqu’au petit enfant qu’Hester tenait dans ses bras qui s’y montra sensible car il dirigea son regard, jusqu’alors resté vague, vers le Révérend Dimmesdale et tendit ses petits bras avec un murmure à demi content, à demi plaintif. Enfin cette adjuration semblait si puissante que la foule se sentit certaine qu’Hester Prynne allait prononcer le nom du coupable ou que celui-ci, en quelque situation qu’il fût, allait éprouver une irrésistible impulsion intime et être contraint de gravir les degrés du pilori.
Hester secoua la tête.
– Femme, ne va point au-delà des limites de la clémence divine ! s’écria le Révérend Wilson avec plus de sévérité qu’auparavant. Ce petit enfant a été doué d’une voix pour renforcer le conseil que tu viens d’entendre. Dis le nom ! Cet aveu et ton repentir pourront faire disparaître un jour la lettre écarlate de ta poitrine.
– Jamais ! répondit Hester, ne regardant pas le Révérend Wilson mais les yeux dans les yeux profonds et troublés de son jeune confrère. Elle y est trop avant marquée. Nul ne saurait plus l’enlever et puissé-je endurer sa peine à lui en même temps que la mienne !
– Parle, femme ! s’écria froide et sévère une autre voix qui venait celle-ci de la foule massée au pied du pilori. Parle et donne un père à ton enfant !
– Je ne parlerai point, dit Hester, en devenant aussi pâle que la mort mais contrainte de répondre à cette voix qu’elle ne reconnaissait que trop. Mon enfant devra chercher un père dans les cieux. Elle n’en aura jamais un sur terre.
– Elle ne parlera pas,
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