LA LETTRE ÉCARLATE
était entré dans la pièce avec le calme caractéristique de la profession à laquelle il disait appartenir. Son attitude ne changea point quand le départ du geôlier le laissa seul en face de la femme qui, en s’absorbant si profondément en elle-même lorsqu’elle le reconnut dans la foule, avait implicitement révélé qu’un lien étroit les unissait, elle et lui. Son premier geste fut de s’approcher de l’enfant qui se tordait sur le petit lit avec des cris qui disaient l’urgente nécessité de faire passer avant toute autre affaire le devoir de l’apaiser. Il l’examina avec soin, puis ouvrit une cassette de cuir qu’il prit sous ses vêtements. Elle contenait apparemment des remèdes. Il en prit un qu’il se mit à mélanger à l’eau d’un gobelet.
– Mes vieilles études d’alchimie et mon séjour de plus d’un an parmi des gens qui connaissent bien les bonnes propriétés des simples, ont fait de moi un meilleur médecin que plus d’un qui se réclame du titre, fit-il remarquer. Voilà, femme ! L’enfant étant à toi – nullement à moi – il ne reconnaîtra ni ma voix ni mon aspect comme ceux d’un père. Fais-lui boire ce breuvage, donc, de tes propres mains.
Hester repoussa la médecine offerte en regardant avec appréhension le visage qui lui faisait face.
– Te voudrais-tu venger sur un innocent ? murmura-t-elle.
– Femme insensée ! répondit le médecin d’un ton à demi froid, à demi apaisant. Pourquoi irais-je faire du mal à ce misérable enfant illégitime ? Ce remède est puissant pour le bien et si l’enfant était à moi – oui, à moi aussi bien qu’à toi – je ne pourrais mieux faire pour lui.
Comme Hester continuait d’hésiter, n’étant point, en fait, dans un état d’esprit raisonnable, l’étranger prit l’enfant dans ses bras et lui administra lui-même le breuvage – lequel prouva bientôt son efficacité. Les cris de la petite malade se turent ; son agitation convulsive cessa peu à peu. Au bout de quelques instants, elle plongeait, selon la coutume des petits enfants soulagés de leur mal, dans un profond sommeil paisible.
Le médecin – il avait à présent bien droit à ce titre – dirigea alors son attention vers la mère. Procédant avec calme à un examen scrutateur, il lui tâta le pouls, la regarda au profond des yeux – regard qui la fit reculer et trembler en son cœur parce que tellement familier et pourtant tellement froid, tellement étranger – et, satisfait enfin de ses investigations, il se mit à doser un nouveau mélange.
– Je ne connais ni Léthé ni Népenthès, remarqua-t-il, mais j’ai appris maints secrets dans la forêt et en voici un qu’un Indien m’enseigna en échange de quelques miennes leçons aussi vieilles que Paracelse. Bois ! Ce peut être moins apaisant qu’une bonne conscience, je ne t’en saurais donner une, mais cela calmera les bouillonnements de ta fièvre comme l’huile rend lisse une mer tumultueuse.
Il présenta le gobelet à Hester qui le prit en attachant sur lui un regard plein d’intensité. Un regard qui n’exprimait pas précisément la crainte mais qui était plein, pourtant, de doute et de perplexité quant aux buts de cet homme. Elle tourna ensuite les yeux vers la petite fille endormie.
– J’ai pensé à la mort, dit-elle, je l’ai souhaitée, j’aurais même prié Dieu de me l’envoyer s’il était séant que quelqu’un comme moi priât pour se faire accorder quelque chose. Cependant, si la mort est dans cette coupe, je te demande de réfléchir avant de me la laisser boire. Regarde ! La voici à mes lèvres.
– Bois, lui répondit l’homme toujours avec la même tranquillité glaciale. Me connais-tu donc si peu, Hester Prynne ? Des desseins à si courte portée seraient-ils mon fait ? Même si j’entends tirer de toi vengeance, que pourrais-je concevoir de mieux, pour atteindre mon but, que de te laisser vivre ? Que de te donner des remèdes contre les maux et les dangers de la vie afin que le signe de ta honte pût continuer de flamboyer sur ta poitrine ?
Tout en parlant, il posait son long index sur la lettre écarlate qui sembla alors brûler le sein qu’elle recouvrait comme si elle eût été rougie à blanc. Il remarqua le tressaillement involontaire d’Hester et se mit à sourire.
– Vis donc, poursuivit-il, et porte partout avec toi ta condamnation aux yeux de tous, hommes et femmes ! Aux yeux de celui que tu appelas ton
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