LA LETTRE ÉCARLATE
mari, aux yeux de cette enfant là-bas ! Et, afin que tu puisses vivre, bois ce breuvage !
Hester but sans autres délais, puis s’assit sur le lit où dormait l’enfant au signe que lui fit son compagnon. Lui-même prit l’unique chaise de la pièce et vint s’asseoir auprès d’elle. Hester ne pouvait que trembler en lui voyant faire ces préparatifs car elle sentait bien qu’ayant à présent accompli ce à quoi l’humanité, ou ses principes, ou peut-être une cruauté raffinée l’avait poussé pour remédier à sa douleur physique, il allait à présent se comporter en homme qu’elle avait profondément et irréparablement outragé.
– Hester, dit-il, je ne te vais demander ni pourquoi ni comment tu es tombée dans l’abîme, montée plutôt, devrais-je dire, sur le piédestal d’infamie où je t’ai trouvée. L’explication n’est pas longue à chercher : ce fut ma folie et ce fut ta faiblesse. Moi, un homme qui ne vivais que par la pensée, qui hantais sans trêve les bibliothèques, qui approchais du déclin, déjà, après avoir consacré mes meilleures années à nourrir les rêves avides du savoir – qu’avais-je à faire avec une beauté et une jeunesse comme les tiennes ? Contrefait de naissance, comment ai-je pu me leurrer de l’idée que les dons de l’intelligence pourraient voiler la difformité physique dans la fantaisie d’une jouvencelle ? Les hommes me disent sage. Si la sagesse des sages les éclaira jamais sur leur propre destin, j’aurais dû savoir en entrant, au sortir de la vaste et sinistre forêt, dans cette colonie de Chrétiens, que le premier objet qui frapperait ma vue, ce serait toi, Hester Prynne, érigée en statue de honte devant le peuple. Que dis-je ? Depuis l’instant où, mari et femme, nous descendions ensemble les degrés du temple, j’aurais dû entrevoir un funeste reflet de cette lettre-ci rougeoyer au bout de notre chemin !
– Tu sais, dit Hester, car, tout abattue qu’elle fût, elle ne put endurer en silence le coup que lui portait cette dernière allusion au symbole de sa honte, tu sais que je fus franche envers toi. Je ne ressentais point d’amour et n’en feignis aucun.
– C’est vrai, répondit-il, tout fut, je l’ai dit, le fait de ma folie. Mais, jusqu’à cette époque, j’avais vécu sans vivre ! Le monde avait été si dépouillé de joie ! Mon cœur était une habitation assez vaste pour accueillir bien des hôtes, mais solitaire et glaciale, privée du feu d’un foyer. J’ai eu envie d’en allumer un. Cela n’avait pas l’air d’un rêve tellement insensé, âgé et sombre d’humeur comme je l’étais, que le simple bonheur, partout largement à portée de tous les hommes, pût encore devenir mon lot. Et ainsi, Hester, je t’ai fait entrer en mon cœur, en sa chambre la plus secrète, et j’ai essayé de le réchauffer à la chaleur que tu y fis régner.
– Je t’ai fait grandement mal, murmura Hester.
– Nous nous sommes fait du mal l’un à l’autre, répondit-il, et c’est moi qui ai commencé lorsque j’induisis ta jeunesse en fleur à s’unir à ma décrépitude. Par conséquent, en homme qui n’a pas réfléchi et philosophé en vain, je ne cherche nulle vengeance, je n’échafaude rien contre toi. Entre nous deux, la balance est égale. Mais Hester, il est en vie, l’homme qui nous a fait du mal à tous les deux. Qui est-il ?
– Ne me le demande point, répondit Hester en le regardant fermement en face. Tu ne le sauras jamais !
– Jamais, dis-tu, répliqua son interlocuteur avec un sombre sourire, en homme qui a foi en son intelligence. Jamais ? Crois-moi, Hester, il y a peu de choses, soit dans le monde des sens, soit dans l’univers invisible des pensées, qui puissent rester cachées à l’homme qui se consacre passionnément et sans réserve à la solution d’un mystère. Tu as pu celer ton secret aux yeux inquisiteurs de la multitude. Tu as pu le cacher aussi aux pasteurs et aux magistrats, aujourd’hui, lorsqu’ils tentèrent de l’arracher de ton cœur pour te donner un compagnon sur ton piédestal. Mais moi, je me mets en quête avec d’autres sens que ceux qu’ils possèdent. Je chercherai cet homme comme j’ai cherché la vérité dans les livres, comme j’ai cherché l’or dans l’alchimie. Un fluide me le révélera. Je le verrai trembler. Je me sentirai frémir tout soudain sans m’y être attendu. Tôt ou tard, il sera en mes mains.
Le savant
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