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La Loi des mâles

La Loi des mâles

Titel: La Loi des mâles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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d’étrange sorte. Quelques jours après avoir
débarqué, il entrait en relation avec le précepteur des enfants royaux, se
faisait son disciple, et se lançait dans les études abstraites avec une
passion, une agilité de compréhension, une souplesse de mémoire qu’eussent pu
lui envier les adolescents les mieux doués. Il ignorait la faim, tout comme il
ignorait la nécessité du sommeil. Bientôt docteur en droit canon, puis en droit
civil, son nom avait commencé de se répandre. La cour de Naples recherchait les
avis du clerc de Cahors.
    Après l’appétit de savoir lui était
venu l’appétit de puissance. Conseiller du roi Charles II le
Boiteux – grand-père de la reine Clémence – puis secrétaire des
conseils secrets et pourvu de nombreux bénéfices ecclésiastiques, dix ans après
son arrivée il se trouvait nommé évêque de Fréjus, et un peu plus tard accédait
à la fonction de chancelier du royaume de Naples, c’est-à-dire de premier
ministre d’un État qui comprenait à la fois l’Italie méridionale et tout le
comté de Provence.
    Une si fabuleuse ascension, parmi
les intrigues des cours, n’avait pu s’accomplir grâce seulement à des talents
de juriste et de théologien. Un trait, connu d’assez peu de gens, car il
relevait du secret à la fois d’Église et d’État, montrait bien l’astuce et
l’aplomb dont Duèze était capable.
    Quelques mois après la mort de
Charles II, il avait été envoyé en mission à la cour papale, dans un
moment où l’évêché d’Avignon, le plus important alors de toute la chrétienté
puisque résidence du Saint-Siège, était vacant. Toujours chancelier, et donc détenteur
des sceaux, il rédigea tranquillement une lettre par laquelle le nouveau roi de
Naples, Robert, demandait pour lui, Jacques Duèze, le siège épiscopal
d’Avignon. Ceci se passait en 1310. Clément V, soucieux de se ménager
l’appui de Naples en une période où il rencontrait beaucoup de difficultés du
côté de la France, accéda aussitôt à la requête. La supercherie se découvrit un
peu plus tard, lorsque Clément, recevant la visite de Robert, pape et roi se
témoignèrent leur mutuelle surprise, le premier de n’avoir pas reçu de plus
chauds remerciements pour une si grande faveur accordée, le second de n’avoir
pas été consulté sur une nomination qui le privait de son chancelier. Plutôt
que de faire éclater un inutile scandale, ils choisirent d’accepter la chose de
bonne grâce. Chacun s’en trouva bien. Maintenant Duèze était cardinal de curie,
et l’on étudiait ses ouvrages dans toutes les universités.
    Mais, si étonnante que soit une
destinée, elle n’apparaît telle qu’à ceux qui la regardent de l’extérieur. Les
jours vécus, qu’ils aient été emplis ou vides, agités ou tranquilles, sont tous
également des jours enfuis, et la cendre du passé a le même poids dans toutes
les mains.
    Tant d’ardeur, d’ambition, d’énergie
dépensées avaient-elles un sens lorsque tout devait, inéluctablement, basculer
dans cet Au-delà dont les plus hautes intelligences et les plus difficiles
sciences humaines n’arrivaient à saisir que d’indéchiffrables lambeaux ?
Pourquoi vouloir devenir pape ? N’eût-il pas été plus sage de s’enfermer
au fond d’un cloître, dans le détachement de tout ? Se dépouiller et de
l’orgueil de la connaissance et de la vanité de dominer, acquérir l’humilité de
la foi la plus simple… se préparer à disparaître… Or même cette sorte de
méditation prenait, chez le cardinal Duèze, le tour d’une spéculation
abstraite, et son anxiété de mourir se transformait bientôt en débat
théologique.
    « Les docteurs nous assurent,
pensait-il ce matin-là, que les âmes des justes après la mort jouissent
immédiatement de la vision béatifique de Dieu, qui est leur récompense. Soit,
soit… Mais les Écritures nous disent aussi qu’à la fin du monde, quand les
corps ressuscités auront rejoint leurs âmes, nous serons tous jugés en dernier
Jugement. Il y a là une grande contradiction. Comment Dieu, totalement
souverain, omniscient et parfait, aurait-il à évoquer deux fois le même cas
devant son propre tribunal, et comment pourrait-il juger en appel de ses
propres sentences ? Dieu n’est point susceptible d’erreur ; et
imaginer un double arrêt de sa part, ce qui suppose révision, donc erreur, est
une impiété et même une hérésie… Du reste, ne

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