La Loi des mâles
verrait plus ses
admirables cheveux d’or, ni l’ovale parfait des joues, ni cet éclat, cette
splendeur tranquille qui avaient rendu célèbre sa beauté. La reine Clémence
avait déjà pris l’aspect de son tombeau.
Pourtant, sous les plis de sa robe,
une nouvelle vie était en train de se former ; et Clémence était obsédée
par la pensée que son époux ne connaîtrait jamais l’enfant qu’elle attendait.
« Si Louis, seulement, avait
assez vécu pour le voir naître ! Cinq mois, seulement cinq mois de
plus ! Comme il en aurait eu joie, surtout si c’est un fils… Ou bien que
n’ai-je été prégnante dès le soir de nos noces !…»
Elle tourna la tête, avec lassitude,
vers le comte de Valois qui, d’un pas de coq gras, marchait à travers la pièce.
— Mais pourquoi, mon oncle,
pourquoi l’aurait-on méchamment empoisonné ? demanda-t-elle. Ne faisait-il
pas tout le bien qu’il pouvait ? Pourquoi cherchez-vous toujours la
perfidie des hommes là où ne se montre sans doute que la volonté de Dieu ?
— Vous êtes bien la seule à
rendre à Dieu, en l’occasion, ce qui semble plutôt appartenir aux artifices du
diable, répondit Charles de Valois.
Un chaperon à grande crête rabattu
vers l’épaule, le nez fort, la joue large et colorée, l’estomac en avant, et
habillé du même vêtement de velours noir orné de queues d’hermines et de
fermaux d’argent qu’il avait arboré, dix-huit mois auparavant, pour
l’enterrement de son frère Philippe le Bel, Monseigneur de Valois arrivait de
Saint-Denis, où il avait assisté à l’inhumation de Louis. Cérémonie d’ailleurs
qui n’était pas sans avoir posé quelques problèmes préalables ; pour la
première fois, depuis qu’il existait un rituel des obsèques royales, les
officiers de l’Hôtel, après avoir crié : « Le Roi est
mort ! », ne pouvaient ajouter ! « Vive le
Roi ! » ; et l’on ne savait devant qui accomplir les gestes
destinés au nouveau souverain.
— Eh bien ! vous casserez
votre bâton devant moi, avait dit Valois au grand chambellan Mathieu de Trye.
Je suis l’aîné de la famille et le mieux désigné.
Mais son demi-frère, le comte
d’Évreux, s’était élevé contre cette étrange prétention.
— Si vous entendez l’aînesse en
un sens aussi large, ce n’est pas vous, Charles, qui la détenez, mais notre
oncle Robert de Clermont, le fils de Saint Louis. Oubliez-vous qu’il est encore
vivant ?
— Vous savez bien que le pauvre
homme est fol, et qu’on ne peut se fonder en rien sur cette tête perdue, avait
répliqué Valois en haussant les épaules.
Finalement, à l’issue du repas servi
dans l’abbaye, c’était devant une chaise vide que le grand chambellan avait
brisé l’insigne de ses fonctions…
Clémence reprit :
— Louis ne faisait-il pas
l’aumône aux infortunés ? Ne remettait-il pas, le plus possible, leurs
peines aux prisonniers ? Je puis témoigner de la générosité de son âme, et
de sa piété. De ses péchés anciens, il se repentait…
Le moment était évidemment mal
choisi pour mettre en doute les vertus dont la reine voulait orner la mémoire
toute fraîche de son époux. Charles de Valois, néanmoins, ne put retenir un
mouvement d’humeur.
— Je sais, ma nièce, je sais
que vous avez eu sur Louis une très pieuse influence, et qu’il s’est montré
fort généreux… avec vous. Mais on ne gouverne pas seulement par des patenôtres,
ni en couvrant de dons ceux-là qu’on aime. Et la repentance ne suffit pas à
désarmer les haines qu’on a semées.
Clémence pensa : « Voilà…
Voilà celui qui s’empressait si fort autour de Louis, et qui déjà le renie.
Quant à moi, on me reprochera bientôt les présents qu’il m’a faits. Je suis
devenue l’étrangère…»
Trop faible, trop brisée par les
nuits d’insomnie et les journées de larmes pour trouver la force de discuter,
elle ajouta seulement :
— Je ne puis croire que Louis
ait été haï à ce point qu’on l’ait voulu tuer.
— Eh bien, n’y croyez pas, ma
nièce, s’écria Valois ; mais le fait est là ! La preuve nous est
fournie par le chien qui lécha les toiles dans lesquelles les embaumeurs
avaient déposé les entrailles, et qui est crevé l’heure d’après.
Clémence serra les mains sur les
bras de son siège pour ne pas chanceler devant la vision qu’on lui imposait.
Son masque étroit et pathétique, les yeux clos, devint aussi
Weitere Kostenlose Bücher