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La Loi des mâles

La Loi des mâles

Titel: La Loi des mâles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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fermé… Enfin, ma
nièce, s’écria Valois, ne croirait-on pas que je veux vous envoyer au-delà des
mers, et que Vincennes est à mille lieues de Paris !
    — Comprenez-moi, mon oncle,
répondit faiblement Clémence, ce séjour de Vincennes est le dernier don que
j’ai reçu de Louis. Il m’a fait présent de cette maison quelques heures avant
qu’il meure, là… Il me semble qu’il n’en est pas encore vraiment parti. Comprenez…
C’est ici que nous avons eu…
    Mais Monseigneur de Valois ne
pouvait rien entendre aux exigences du cœur ni aux imaginations de la douleur.
    — Votre époux, pour lequel nous
prions, ma chère nièce, appartient désormais au passé du royaume. Mais vous, vous
en détenez l’avenir. En exposant votre vie, vous exposez celle de votre enfant.
Louis, qui vous voit de là-haut, ne vous le pardonnerait pas.
    Il avait touché juste, et Clémence,
sans rien dire, s’affaissa un peu sur son siège.
    Mais Bouville déclara que rien ne se
pouvait décider sans l’accord de messire de Joinville qu’il envoya chercher
sur-le-champ. On attendit plusieurs minutes. Puis la porte s’ouvrit, et l’on
attendit encore. Enfin, vêtu d’une longue robe de soie comme on en portait au
temps de la croisade, tremblant sur ses membres, la peau tachée et pareille à
une écorce d’arbre, la paupière larmoyante, la prunelle pâlie, le dernier
compagnon de Saint Louis apparut, traînant les semelles, et soutenu par un
écuyer presque aussi chenu que lui. On l’assit avec tous les égards qu’on lui
devait, et Valois entreprit de lui expliquer ses intentions concernant la
reine. Le vieillard écoutait, hochant la tête avec componction, et visiblement
satisfait d’avoir encore un rôle à jouer. Quand Valois eut achevé, le sénéchal
s’abîma dans une méditation que chacun se garda de troubler ; on attendait
l’oracle qui allait tomber de sa bouche. Et soudain Joinville demanda :
    — Mais adoncques, où est le
roi ?
    Valois prit une expression désolée.
Tant de peine dépensée en vain, alors que le temps pressait ! Le sénéchal
saisissait-il encore ce qu’on lui disait ?
    — Voyons, le roi est mort,
messire, et nous l’avons descendu en terre ce matin. Vous savez bien que vous
avez été nommé curateur…
    Le sénéchal plissa le front et parut
faire un grand effort de réflexion. Il perdait de plus en plus le souvenir de
l’immédiat. Depuis longtemps déjà il était sujet à cette sorte de
défaillance ; ainsi, il ne s’était pas aperçu, en dictant à quatre-vingts
ans passés ses fameux Mémoires, qu’il répétait presque textuellement vers la
fin de la seconde partie ce qu’il avait conté dans la première…
    — Ah !… notre jeune sire
Louis, dit-il enfin. Il est mort… C’est à lui que j’avais présenté mon grand
livre [1] .
Savez-vous que voici le… quatrième roi que je vois trépasser ?
    Il annonçait cela comme s’il se fût
agi d’un exploit.
    — Adoncques, si le roi est
mort, la reine est régente, ajouta-t-il.
    Monseigneur de Valois devint
pourpre. Il avait cru, connaissant la décrépitude de l’un et la nature dévouée
de l’autre, qu’il pourrait manœuvrer les deux curateurs à sa guise ; son
calcul se retournait contre lui. L’extrême vieillesse et l’extrême scrupule
semblaient se liguer pour lui créer des difficultés.
    — La reine n’est pas régente,
messire sénéchal, elle est grosse, s’écria-t-il. Voyez son état, et si elle est
en mesure de satisfaire aux tâches du royaume !
    — Vous savez que je ne vois
mie, répondit le vieillard.
    Le front dans la main, Clémence
pensait seulement : « Mais quand finiront-ils ? Mais quand me
laisseront-ils en paix ? »
    Joinville commença d’expliquer dans
quelles conditions, à la mort du roi Louis Huitième, la reine Blanche de
Castille avait assumé la régence, pour la grande satisfaction de tous.
    — Madame Blanche, cela se
disait bien bas, n’était pas toute pureté comme l’image qu’on en a faite. Et il
paraît que le comte Thibaut, dont mon père était bien compaing, la servit
jusque dans son lit…
    Il fallut le laisser parler. Le
sénéchal, s’il oubliait les événements de la veille, gardait une mémoire
précise des médisances qui couraient dans sa prime jeunesse. Il avait trouvé un
auditoire et en profitait. Ses mains, agitées d’un tremblement sénile,
raclaient sans relâche la soie de sa robe, sur ses genoux.
    — Et même

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