La mémoire des flammes
Lefîne, qui patientaient au garde-à-vous.
— Repos. Quelles mauvaises nouvelles ?
Margont obtint de faire sortir les deux officiers adjoints. Alors, il expliqua, sans donner de détails, qu’il était chargé d’une mission confidentielle et qu’il demandait à avoir Lefîne à ses côtés pour l’assister. La lettre de Joseph consterna Saber. Il se demandait pourquoi le commandant de l’armée et de la garde nationale de Paris refusait de l’inclure dans ce secret. Comment ce haut personnage pouvait-il croire que l’on allait réussir quoi que ce soit d’important dans la capitale sans l’aide du colonel Saber ? Il en arriva à la conclusion que Joseph était un incompétent, tout comme Moncey, le général Duhesme et tous les autres, et il se sentit plus seul que jamais.
— Bien. J’obéis aux ordres. Pour une fois que Joseph se décide à faire quelque chose, je ne vais pas faire la fine bouche ! Major Margont, le capitaine Piquebois vous remplacera dans vos fonctions. Je le ferai avertir. Vous pouvez prendre le sergent Lefine avec vous. J’espère que vous serez de retour le plus vite possible. Vous pouvez disposer.
Puis il rappela ses officiers adjoints. Margont et Lefine allaient partir lorsque Saber intervint :
— Une affaire secrète... Je n’aime pas cela. Faites attention à vous...
Durant un instant, ce fut comme si l’ancien Saber était à nouveau là. Puis Margont et Lefine s’en allèrent tandis que la voix de Saber retentissait, semblant les poursuivre dans le couloir.
— Lieutenant Dejal, vous n’avez pas encore terminé ma lettre au maréchal Moncey ? Lieutenant Malsoux : lettre au général sénateur comte Augustin de Lespinasse, commandant l’artillerie et le génie de la garde nationale de Paris. « Toujours rien ! Où sont les canons auxquels j’ai droit ? » Voilà l’idée clé : habillez ça avec des mots et le strict minimum de respect imposé par la hiérarchie militaire, qui est bien trop généreuse avec ce genre d’aigrefins. Lieutenant Dejal, toujours pas fini avec le maréchal ? Mais mon pauvre Dejal, ne vous laissez pas intimider par le mot « maréchal ». Habituez-vous-y, au contraire, car vous servez sous mes ordres...
Margont et Lefine revêtirent des vêtements civils. Margont chargea également un soldat de remettre une lettre au médecin-major Jean-Quenin Brémond, qui se trouvait dans l’île de la Cité, à l’hôpital de l’Hôtel-Dieu, où il soignait les blessés français et alliés affluant dans Paris. Il avait placé son mot dans une enveloppe cachetée à la bougie, afin de se prémunir des regards indiscrets, et imaginait déjà le visage incrédule de Jean-Quenin devant cette demande de le rejoindre au plus vite chez un certain colonel Berle, en dissimulant son uniforme sous un manteau, en passant par la porte de derrière et en n’acceptant de parler qu’à un dénommé Mejun... Mais Jean-Quenin avait l’habitude des demandes apparemment saugrenues de son ami : il viendrait, sauf cas de force majeure.
Puis, tout en se rendant sur les lieux du crime d’un pas rapide, il informa Lefine de toute l’affaire.
CHAPITRE IV
Le colonel Berle avait connu l’âge d’or de l’Empire, celui durant lequel les hommes compétents se voyaient récompensés larga manu. Il possédait donc un hôtel particulier, qui toisait la rue du haut de ses trois étages. Une sentinelle gardait l’entrée principale, détendue, ne s’étant rendu compte de rien. Sous peu, consternée, elle verrait arriver la Police générale et serait emportée dans un tourbillon d’agitation et de questions. Mais le moment présent appartenait aux hommes de l’ombre, à ceux qui se dissimuleraient lors du branle-bas de combat à venir, et qui passaient par les portes dérobées.
Margont et Lefïne contournèrent le bâtiment et, comme convenu, Mejun leur ouvrit. Ses yeux étaient emplis de larmes, mais son visage, rougi par la colère, affichait une dureté sanguinaire. Aurait-il eu l’assassin sous la main qu’il lui aurait tordu le cou avec cette même expression.
De son pas inégal, il les conduisit dans un petit salon. La décoration était à la turque : narguilé, tapis ottomans, coussins, yatagans et autres sabres orientaux... Par le passé, Napoléon avait souhaité s’allier avec la Sublime Porte, pour inquiéter les Russes, les Autrichiens et les Anglais. Mais le projet d’alliance franco-ottomane avait été abandonné au
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