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La momie de la Butte-aux-cailles

La momie de la Butte-aux-cailles

Titel: La momie de la Butte-aux-cailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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piquante, une de ces bruines qui mouillent davantage qu’un orage et s’insinuent sous l’épiderme. Il avait pénétré dans le village de Gentilly à l’heure où les passants assez intrépides pour défier le vent d’est trottaient vers leur bercail. Alors qu’il désespérait de dénicher une tanière, un puits de lumière fendit le ciel bourbeux et, pareil à l’index divin, un rayon cuivré se pointa sur une cabane veillant à la frontière d’un jardinet. Bringolo y décela un signe de la Providence adressé à son humble personne et investit sur-le-champ cette modeste cahute dont la porte n’était pas cadenassée et qui ne contenait qu’une bêche, un râteau, et des cartons où pourrissaient des patates. Il souhaita que nul sergent de ville ne le délogeât de ce palace. Hélas, il n’était pas installé depuis une heure qu’un homme aux joues burinées surgit, une hotte sur le dos.
    — Excusez-moi d’être entré chez vous, mon prince, dehors j’aurais crevé ! s’exclama Bringolo.
    — Rassurez-vous, mon brave, je ne vous chasserai pas. Je m’étais souvenu que j’avais omis de boucler. Ben, puisque vous êtes là…
    L’homme esquissa un geste signifiant qu’il n’en avait cure.
    — Ce potager, c’était notre joie, à moi et ma bourgeoise. On y plantait des choux, des salades, des poireaux. Oh, ce n’était pas l’Eldorado, mais vous savez, quand on exploite un lopin de terre, on se croit riche, je vous épargne les pois et les tomates, les tomates juteuses aux racines gavées de crotte de poule, eh oui, c’est comme ça, il n’y a rien de tel que ce qui s’éjecte des tripes pour fumer les légumes !
    — Ouais, pis au moins c’est gratis !
    — Ma femme est morte, et par-dessus le marché on m’exproprie. On m’avait prévenu, c’était du provisoire, mais ce provisoire durait. Qu’importe, j’ai perdu le goût de me promener ici le dimanche au printemps, de rafraîchir la bière dans un seau d’eau, de m’enfoncer sur la caboche mon chapeau de paille, et au boulot ! Sans Monette, ce serait trop triste.
    — D’la bière… vous n’en auriez pas un reliquat d’boutanche, par chance ?
    — Désolé, mon brave, il n’y a rien ici, je m’en vais emporter mes outils. Je ne suis pas Crésus, mais tenez, une pièce de deux sous. Sinon, allez donc toquer aux roulottes des biffins qui trient les chiffons, à vingt mètres, ils sont dans la panade en permanence mais ils sont partageux.
    — Y a toujours plus malheureux qu’soi. Moi qui vous parle, j’sais comment on va me recevoir dans les patelins. Déjà soulagé d’avoir pas été complimenté par les autorités, parce que quand on vole ou qu’on tue, c’est ma pomme qu’on soupçonne, et moi, j’toucherais pas un ch’veu à une mouche ! jura Bringolo, paume en l’air.
    — Je ne conteste pas votre honnêteté, ça se lit sur les gens. Nichez-vous ici jusqu’aux beaux jours, si ça vous tente, ils ne démoliront qu’en août, et moi, je vous visiterai, on ramassera ensemble la dernière récolte.
    — Ah, c’que vous êtes franc du collier ! Grâce à vous j’éviterai la série blanche, ben oui, la neige, c’est pire que tout quand on crèche à la belle étoile.
    — Je vais prier le gardien de l’affenage voisin de me céder du foin, vous vous aménagerez une litière douillette.
    — L’affenage ? C’est quoi ? Une douane ?
    — Non, non, un genre de caravansérail où les cochers dorment pendant que leurs chevaux mâchent leur picotin d’avoine. Vous n’avez pas l’impression que ça sent bizarre, d’un coup ?
    Avant que Bringolo se soit enquis de son identité, le jardinier avait disparu. Il s’en voulut de n’avoir pas songé à réclamer un repas chaud, tant pis, il se contenterait du pain et des rognons enveloppés dans sa besace, largesse d’une charcutière à qui il avait conté fleurette.
    À force de vaguer sur les routes, Bringolo avait acquis plusieurs règles de conduite. Ne jamais refuser l’aide d’un quidam, même s’il était envisageable qu’il fût acoquiné avec les roussins. S’abstenir de se laver de manière à se forger une cuirasse hostile aux piqûres du soleil et aux frimas, d’où l’odeur tenace qui collait à ses loques et lui offrait une protection efficace contre les importuns et les moustiques. Accueillir avec hospitalité les cohortes de bestioles déterminées à s’établir sur lui puisque son mode d’existence rendait

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