La mort du Roi Arthur
premier de tous les chevaliers chrétiens ! Et voici que, maintenant, tu gis là, toi qui, j’ose le prétendre, ne rencontras jamais en ce monde de chevalier qui te fût comparable. En outre, Lancelot, tu étais le plus courtois des chevaliers portant bouclier. Tu fus l’ami le plus fidèle à sa maîtresse qui jamais monta à dos de cheval, l’amant le plus loyal qui, d’entre les pécheurs, aima jamais une femme. Nul homme plus bienveillant que toi ne se servit jamais si bien d’une épée ; nul n’apparut si beau et si étincelant au milieu d’une troupe de guerriers. Personne n’a jamais égalé ta douceur et ta noblesse, quand tu prenais ton repas dans la grande salle en compagnie des dames et des jeunes filles. Mais tu fus aussi le plus ardent chevalier qui abaissa sa lance quand tu te retrouvais face à un ennemi mortel. » {91}
Le cortège se remit en marche, et l’on déposa la bière dans l’église. « Ah ! s’écria Bohort, que de peines aurai-je endurées en cette vie ! Faut-il donc que je voie ainsi disparaître tous ceux que j’aimais ? Pourquoi ne suis-je pas resté en compagnie de Perceval lorsqu’il s’est embarqué vers le royaume mystérieux où il emportait le saint Graal et le corps de Galaad ? Pourquoi moi seul suis-je revenu de la cité de Sarras ? Était-ce à seule fin de retrouver les incertitudes du monde ? Pourquoi suis-je encore en vie, quand tous mes compagnons sont morts ? »
Ce jour-là, le deuil fut général dans la cité de la Joyeuse Garde. À la nuit, on fit ouvrir la tombe de Galehot, seigneur des Îles Lointaines, qui se trouvait dans un verger, le long de l’église, à l’endroit même où Lancelot l’avait découverte et où, seul capable d’en soulever la dalle, il avait entrepris de délivrer la Douloureuse Garde des sortilèges maléfiques qui pesaient sur elle. C’est en effet dans cette même tombe qui lui était personnellement réservée qu’il avait fait enterrer Galehot, le fils de la Géante, son plus fidèle ami, du temps de la rencontre avec la reine Guenièvre, et mort de chagrin à cause de lui {92} . Merveilleusement riche et digne des plus grands rois, cette tombe était faite d’un matériau inconnu, d’une espèce de pierre très dure dont on ne savait pas la provenance {93} . Elle n’était ornée ni d’or ni d’argent, mais d’inestimables pierres précieuses enchâssées avec tant d’harmonie les unes par rapport aux autres qu’un mortel n’aurait pu être l’artisan d’un pareil chef-d’œuvre.
Le lendemain, en présence d’une foule de chevaliers et d’habitants du pays, on célébra les funérailles de Lancelot dans l’église de la Joyeuse Garde. Après quoi, on déposa son corps dans le tombeau et on fit graver sur la pierre l’inscription suivante : « Ci-gît le corps de Galehot, seigneur des Îles Lointaines. Avec lui repose Lancelot du Lac, fils de Ban de Bénoïc, le meilleur chevalier qui fut jamais au royaume de Bretagne, excepté son fils Galaad. » Une fois replacée la dalle, nombreux furent ceux qui, fiers chevaliers tout autant que gens du commun, vinrent la baiser, pleins de douleur et de respect.
Hector demanda alors au roi Bohort par quel prodige il était arrivé à la Joyeuse Garde juste au moment où l’on y ramenait le corps de Lancelot. « C’est une chose étrange et merveilleuse, en effet, répondit Bohort. Un saint ermite qui réside dans une lande, au royaume de Gaunes, m’a affirmé que si j’allais à la Joyeuse Garde, j’y retrouverais Lancelot mort ou vif. Sans perdre un instant, je me suis empressé de venir et ne le regrette point, puisqu’il m’est arrivé exactement ce qui m’était prédit. Mais, pour l’amour de Dieu, mon cousin, dis-moi, si tu le sais, quelle a été la vie de ton frère pendant ces années au cours desquelles je n’ai pu obtenir aucune nouvelle de lui. »
Hector lui raconta alors comment Lancelot s’était égaré dans la forêt après la bataille de Caerwynt, comment il était arrivé par hasard dans l’ermitage même où se trouvait la tombe de la reine Guenièvre. Il lui dit également que Lancelot avait décidé de finir ses jours dans cet ermitage afin d’expier les fautes qu’il avait commises, et comment lui-même l’avait retrouvé et s’était joint à lui. Et il décrivit aussi la rude existence qu’ils avaient tous deux menée durant ces quatre années au service de Dieu, dans la solitude et la méditation. Fort
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