La mort du Roi Arthur
impressionné par le récit d’Hector, Bohort, de toute la journée, ne prononça plus une seule parole, se réfugiant dans une méditation douloureuse. {94}
Le soir venu, au lieu de rejoindre Hector, Bliobéris et les chevaliers, Bohort s’arma, enfourcha son cheval et quitta la Joyeuse Garde en secret et sans que personne pût le voir. Il s’engagea dans la forêt, chevauchant au gré des chemins qui s’ouvraient à lui et, quand la fatigue le terrassa, dormit au pied d’un arbre. Durant plusieurs jours, il erra ainsi parmi les plaines, les vallées et les bois, ne sachant où il allait, et le cœur toujours rongé par la tristesse et l’amertume. Il ne rencontra personne, mangea des fruits sauvages et but de l’eau des fontaines. Il se sentait si accablé qu’il n’avait même plus le désir de vivre.
Or, un jour qu’il longeait une rivière, il aperçut un étrange animal qui, d’une taille presque égale à celle d’un taureau, avait un cou délié tel celui d’un dragon, une petite tête semblable à celle d’un cerf, deux cornes plus blanches que neige et cerclées d’or pur, un pelage enfin plus rouge que le sang. Or, cet animal s’inclina devant lui, tout comme l’aurait fait un être doué de raison, et lui témoigna les plus grandes marques de respect. Puis il s’éloigna paisiblement et s’engagea sur un sentier étroit. Tenaillé par la curiosité, Bohort le suivit, d’autant plus intrigué par sa véritable nature qu’il le voyait désormais d’un rouge comme flamboyant. La nuit tomba bientôt et la lune se leva dans le ciel, mais les cornes de la bête réfléchissaient la lumière laiteuse de l’astre avec tant d’éclat que Bohort y voyait mieux qu’en plein jour et n’avait ainsi nulle peine à suivre son guide.
Ils firent route, l’un derrière l’autre, jusqu’à minuit passé et parvinrent alors dans une très belle prairie, au milieu de laquelle l’animal fit si bien mine de s’endormir sous un arbre que Bohort y vit une invite à se reposer lui-même. Il mit donc pied à terre, attacha son cheval à un tronc et lui coupa autant d’herbe qu’il put pour lui permettre de se rassasier. Enfin, s’étant étendu, il s’endormit malgré lui jusqu’à l’aube, lorsque les oiseaux se remirent à chanter.
Se levant alors, il vit l’animal qui, debout devant lui, lui faisait signe de reprendre la route. Il équipa son destrier, monta en selle et se laissa mener dans une contrée fort belle dont l’air était embaumé de parfums si suaves qu’on aurait pu se croire au paradis. Cette longue errance à travers bois dura jusqu’au soir qui les trouva auprès d’une forteresse en ruine au centre d’une clairière. L’animal s’y rendit tout droit et manifesta son intention de s’arrêter là pour dormir. Bohort mit pied à terre sous l’un des plus beaux arbres qu’il eût jamais vus, tant par son feuillage extrêmement dru que par ses fleurs, lesquelles exhalaient une senteur comme il n’en avait jamais respiré.
Or, il était à peine descendu de cheval qu’il vit venir à lui un très beau chevalier vêtu de blanc qu’il aborda par curiosité et salua au nom du roi du Ciel. L’autre répondit fort courtoisement et lui dit : « Roi Bohort, ne crains rien et ne t’étonne pas de ce que tu vois. Je suis venu t’aider, car ton cœur est lourd, et je sais que tu ne voudrais pas quitter cette terre sans connaître certaines choses. Tu es allé très loin, Bohort ; tu as vu ce que bien d’autres n’ont pas eu la joie de contempler, et voilà pourquoi tu es malheureux aujourd’hui, car tu ne comprends pas dans quel but tu es le témoin d’une aventure qui n’a pas de fin. – Qui es-tu donc ? murmura Bohort. – Autrefois, on m’appelait Balin, le Chevalier aux deux Épées. Je suis mort depuis bien longtemps, roi Bohort, après m’être rendu coupable, et cela en dépit des avertissements que m’avait donnés le sage Merlin, du Coup Douloureux qui désola la Terre Foraine. J’ai durement expié ma faute, et bon nombre de chevaliers avec moi, car le crime que j’avais commis ne m’engageait pas seul. – Mais, dit Bohort, es-tu un fantôme ou un être vivant ? – Cela ne veut rien dire, répondit l’autre. Être ou ne pas être n’est pas une question qu’on puisse résoudre aussi facilement que le pensent les humains. Sache donc que je suis et que je ne suis pas. Mais peu importe. Je suis venu te guider. – Mais, reprit Bohort, que tu
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