La mort du Roi Arthur
s’enfuir en passant par la citerne, et les griffons l’auront mangé ! Il envoya dans le souterrain deux de ses plus courageux chevaliers, mais comme Lancelot avait rendu le petit chien à la demoiselle, les griffons se jetèrent sur les deux hommes, les tuèrent et les dévorèrent en quelques instants. Ce qu’apprenant, le seigneur du château entra dans une colère d’autant plus violente que la découverte du lion mort le convainquit de la fuite de son captif. Mais il eut beau donner l’ordre de le poursuivre, ses gens ne s’y risquèrent guère, tant les pétrifiait la réputation de bravoure de Lancelot. Et cela acheva de désoler la demoiselle du château qui aurait bien voulu, elle, que l’on poursuivît celui-ci et qu’on le lui ramenât. Elle en était si fort éprise qu’elle n’imaginait pas de plus grand bonheur que de le tenir auprès d’elle.
Lui, cependant, l’avait déjà oubliée. Toujours obnubilé par son propre chagrin, il allait à travers la forêt, indifférent à tout sauf, de-ci de-là, au piteux état de son haubert qu’avait déchiré le lion.
Après avoir chevauché de la sorte toute la journée, il se retrouva sur un sentier d’une telle étroitesse qu’il dut mettre pied à terre et mener son cheval par la bride. Au-delà s’ouvrait une clairière que traversait un ruisseau limpide et au centre de laquelle se dressait une chapelle toute neuve et d’une rare somptuosité : recouverte de plomb, elle portait sur son faîte deux croix brillantes comme de l’or. Tout auprès se trouvaient trois maisonnettes et, un peu plus loin, se voyait un petit cimetière bien clos de murs. En prêtant l’oreille, Lancelot reconnut l’office de vêpres et, désireux de s’y associer, s’approcha du porche.
Interrompant leurs chants, les trois ermites qui se trouvaient à l’intérieur vinrent l’accueillir en lui souhaitant la bienvenue et en l’assurant qu’il pouvait demeurer parmi eux aussi longtemps qu’il le souhaiterait. Il les remercia puis, se dépouillant de ses armes, pénétra dans le sanctuaire. Jamais il n’en avait vu de si magnifique. Outre trois autels, tous trois richement décorés, ornés de nappes de soie et de splendides. crucifix d’or, s’y pouvaient admirer maintes statues placées dans des niches et de brillantes peintures qui recouvraient entièrement les murs. Au milieu de la nef se remarquait encore un riche tombeau somptueusement drapé et au chevet duquel brûlaient quatre cierges fichés dans de superbes chandeliers.
« Seigneurs, demanda Lancelot, pour qui donc a été fait ce tombeau ? – Pour la reine Guenièvre, chevalier, répondit l’un des ermites. – Mais la reine Guenièvre n’est pas morte ! s’écria Lancelot. – Hélas ! si, seigneur chevalier. Elle est morte voilà trois jours ici même. Elle s’y était réfugiée pour se soustraire à la vengeance du traître Mordret et à la colère de son époux, le roi Arthur. C’est elle qui, avant de mourir, a fait si merveilleusement restaurer et embellir cette chapelle. »
En apprenant que la reine reposait dans ce magnifique tombeau, Lancelot crut que son cœur allait s’arrêter et ne put prononcer un seul mot. Mais il n’osa pas manifester davantage sa douleur, de peur de se trahir. Heureusement, une statue de la Vierge Marie se trouvait à la tête du monument. Lancelot s’agenouilla le plus près possible, comme afin de se recueillir plus dévotement, et, appuyant ses yeux, sa bouche et son visage contre la pierre, il exprima son chagrin tout bas : « Ah ! Dame, chuchota-t-il, si je ne craignais d’être blâmé, je resterais là toute ma vie, travaillant à sauver mon âme et priant pour la tienne. Ce me serait si grand réconfort que d’avoir sous les yeux la sépulture où repose ton corps qui possédait tant de douceur, d’honneur et de vertu. Ah ! Dieu ! accorde-moi de mourir bientôt et de rejoindre en ton saint paradis celle que je n’ai cessé d’aimer chaque instant de ma vie. » {88}
La nuit était tombée. Un clerc alla trouver les ermites et leur dit n’avoir jamais vu de chevalier prier avec tant de ferveur Dieu et sa Sainte Mère que celui qui se trouvait dans la chapelle. Les ermites rétorquèrent que parmi les chevaliers de ce monde, certains étaient des hommes de profonde foi. Ils se rendirent ensuite à la chapelle et annoncèrent à Lancelot que son repas était prêt et qu’il était temps de venir manger avant d’aller
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