La nièce de Hitler
tension nerveuse, nausées,
aigreurs d’estomac, spasmes musculaires, difficultés à avaler –, et conclut que
ces troubles étaient les signes avant-coureurs du cancer de l’estomac et qu’il
ne lui restait que quelques années pour mener à bien tous ses projets.
— Mais la tâche est trop immense, poursuivit-il,
et le but trop éloigné. Il vaudrait mieux que je meure tout de suite.
Le photographe craignait une dépression
nerveuse pour son Führer, et lorsqu’il découvrit que celui-ci avait emporté son
pistolet Walther, il le lui cacha dans un étui d’appareil photo Nettel, de peur
qu’Hitler n’attente à ses jours. Hitler ne voulait ni parler ni se nourrir. Il
passait des heures à faire les cent pas dans sa chambre à l’étage, seul.
Dans les mémoires qu’il publia après guerre, Hoffmann,
en relatant cette fameuse nuit, écrivait : « La mort de Geli avait
bouleversé mon ami jusqu’aux tréfonds de son âme. Se sentait-il coupable ?
Se torturait-il avec des remords et des reproches ? Qu’allait-il faire ?
Toutes ces questions me travaillaient, mais je ne pouvais répondre à aucune. »
Le lendemain matin, il apporta du lait, du
jambon et des biscuits à son Führer.
— Vous ne voulez pas essayer de manger
quelque chose ? lui demanda-t-il.
En silence, Hitler secoua la tête et continua
à faire les cent pas dans sa chambre.
— Il faut que vous mangiez un peu, sinon
vous allez vous trouver mal, insista Hoffmann en lui présentant le jambon.
— Manger ça, ce serait comme manger un
cadavre ! dit Hitler en voyant cette viande rose.
Il ajouta que pour rien au monde il ne
mangerait à nouveau de la viande, promesse qu’il ne trahit que de temps à autre,
pour des boulettes de foie.
À l’heure du dîner, comme Hoffmann se souvint
que le Führer adorait les spaghettis, il appela Henny pour lui demander
stupidement comment on les préparait. S’essayant à l’art culinaire pour la
première fois de sa vie, il trouva qu’il ne s’en était pas trop mal tiré, mais
Hitler ne voulut toujours rien avaler, et ses pas se remirent à résonner dans
la nuit.
Enfin, le mardi après-midi, Adolf Müller, l’imprimeur
du Völkischer Beobachter, arriva à sa villa de Saint-Quirin et informa
le Führer que sa nièce avait été enterrée le matin même. Malgré ses trois nuits
d’insomnie, Hitler décréta que désormais les autorités autrichiennes ne l’attendaient
plus et décida de se rendre à Vienne sur-le-champ, en compagnie d’Emil Maurice,
de Julius Schaub et de Rudolf Hess, prêts à rouler toute la nuit.
Le mercredi matin au lever du soleil, ils
furent accueillis au cimetière central par le Gauleiter nazi Alfred
Frauenfeld, mais, fredonnant la marche funèbre du Crépuscule des Dieux, Hitler
entra seul par le grand portail de fer et déposa sur la tombe de Geli
vingt-trois chrysanthèmes rouges, son âge et sa fleur préférée. Puis, comme il
ne voulait pas prier, il ressortit aussitôt du cimetière.
— C’est la seule femme que j’aimerai
jamais, déclara-t-il. Désormais l’Allemagne sera ma seule épouse.
Les hommes se regardèrent un instant, puis
Heinrich Hoffmann suggéra qu’ils aillent prendre un petit déjeuner, et Frauenfeld
les invita chez lui. Le Führer accepta à condition qu’on passe d’abord devant l’hôtel
Belvedere, à l’intérieur du Ring, car il y avait une frise d’un sphinx dont le
visage lui faisait penser à Geli, puis devant le magnifique Opéra, où il poussa
des soupirs mélodramatiques, en leur racontant qu’il venait y écouter Wagner
avec August Kubicek juste avant la naissance de Geli.
Schaub, Hoffmann, Hitler, Hess, Maurice et
Frauenfeld gravirent d’un pas lugubre l’escalier qui les menait à l’appartement
du Gauleiter, et s’assirent autour d’une grande table ronde pendant que
leur hôte réveillait sa femme pour qu’elle leur prépare à manger. Aucune parole
ne fut échangée durant un moment, et on n’entendait que les bruits provenant de
la cuisine. On cassait des œufs, on actionnait le moulin à café. Puis, pour
réconforter le Führer, Heinrich Hoffmann évoqua sa première rencontre avec Geli.
— Elle chantait à Munich avec une chorale
qui s’appelait Seraphim et vous l’aviez invitée à assister à un de vos discours.
— Je m’en souviens, sourit Hitler.
— Et Emil l’avait amenée à la soirée que
je donnais pour votre anniversaire. Elle était ravissante. Toujours
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