La parfaite Lumiere
d’Ontake que tu te servirais de ton bâton pour créer ta propre
école ?
— Si, mais je crois que
j’avais trop de confiance en moi. Je ne me suis pas dit qu’il y a d’autres
hommes qui savent se battre, eux aussi. Si je suis aussi immature que je me
suis montré hier, comment pourrai-je jamais fonder mon école à moi ?
Plutôt que de vivre dans la pauvreté et de te voir mourir de faim, je ferais
mieux de casser en deux mon bâton et de penser à autre chose.
— Jusqu’ici, tu n’as jamais
été vaincu, et tu as disputé un grand nombre de combats. Peut-être que le dieu
d’Ontake voulait te donner une leçon grâce à ta défaite d’hier. Peut-être es-tu
puni de ton excès de confiance. Renoncer au bâton pour prendre davantage soin
de moi n’est pas le moyen de me rendre heureuse. Quand ce rōnin se
réveillera, provoque-le. Si tu perds à nouveau, alors il sera temps de briser
ton bâton et de renoncer à tes ambitions.
Musashi regagna sa chambre afin de
réfléchir à la question. Si Gonnosuke le défiait, il lui faudrait se battre. Et
s’il se battait, il savait bien qu’il gagnerait. Il écraserait Gonnosuke, et sa
mère en aurait le cœur déchiré.
« Il n’y a rien à faire pour
éviter cela », conclut-il.
Il ouvrit sans bruit la porte
coulissante qui donnait sur la véranda, et sortit. Le soleil du matin répandait
une clarté blanchâtre à travers les arbres. A l’angle de la cour, près d’une
grange, se tenait la vache, heureuse du nouveau jour et de l’herbe qui poussait
à ses pieds. Musashi adressa un adieu silencieux à l’animal, franchit le rideau
d’arbres, et s’éloigna à grands pas sur un sentier qui serpentait à travers
champs.
Ce jour-là, le mont Koma était
visible du pied au sommet. D’innombrables nuages, petits et cotonneux, chacun
de forme différente, se jouaient dans la brise.
« Jōtarō est petit,
Otsū est faible, se disait-il. Mais il y a des gens assez bons pour
prendre soin des jeunes et des faibles. Une quelconque puissance de l’univers
décidera si je les retrouverai ou non. » L’esprit de Musashi, bouleversé
depuis le jour de la chute d’eau, avait paru en danger de perdre le sens de la
direction. Maintenant, il revenait à la voie qu’il était fait pour suivre. Par
un matin comme celui-ci, ne penser qu’à Otsū et Jōtarō paraissait
de la myopie, quelle que fût leur importance à ses yeux. Il devait maintenir
son esprit sur la Voie qu’il avait juré de suivre à travers toute cette vie et
jusque dans l’autre.
Narai, qu’il atteignit un peu
après midi, était une communauté florissante. Une boutique exposait à l’étalage
toute une variété de peaux. Une autre se spécialisait dans les peignes de Kiso.
Dans l’intention de demander son
chemin, Musashi passa la tête à l’intérieur d’une échoppe qui vendait une
drogue à base de fiel d’ours. Sur une enseigne on lisait « Le Gros
Ours », et près de l’entrée il y avait un gros ours en cage. Le patron, le
dos tourné, acheva de se verser une tasse de thé en disant :
— Que puis-je pour
vous ?
— Pourriez-vous m’indiquer le
magasin d’un certain Daizō ?
— Daizō ? Il est
là-bas, au prochain carrefour.
L’homme sortit, sa tasse de thé à
la main, et désigna un point de la route. Apercevant son apprenti qui rentrait
d’une course, il l’appela :
— ... Viens ici. Ce monsieur
veut aller chez Daizō. Pour qu’il ne risque pas de le manquer, tu ferais
mieux de l’y accompagner.
L’apprenti, qui portait la tête
rasée de manière à laisser une touffe de cheveux devant et une autre derrière,
mais rien sur le dessus, repartit, Musashi à sa remorque. Ce dernier, reconnaissant
pour le service rendu, se fit la réflexion que Daizō devait jouir du
respect des autres habitants de sa ville.
— C’est là-bas, dit le garçon
en désignant l’établissement situé sur la gauche et en tournant aussitôt les
talons.
Musashi, qui s’était attendu à une
boutique pareille à celles où s’approvisionnaient les voyageurs, fut surpris.
La vitrine grillagée avait plus de cinq mètres de longueur, et derrière le
magasin se trouvaient deux entrepôts. La maison, vaste et qui semblait
s’étendre à bonne distance derrière le haut mur qui fermait le reste de
l’enceinte, possédait une entrée imposante, pour le moment fermée. Avec une certaine
hésitation, Musashi ouvrit la porte et
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