La parfaite Lumiere
d’y retourner s’informer au sujet de Daizō.
Il commençait à descendre le
sentier taillé à flanc de falaise, lorsqu’il entendit une voix rauque qui lui
était familière :
— Le voilà, là-haut !
Cette voix lui évoqua aussitôt le
bâton qui lui avait frôlé le corps, deux nuits auparavant.
— ... Descendez de là !
criait Gonnosuke, bâton en main, foudroyant Musashi du regard. Vous avez
fui ! Vous vous disiez que je vous provoquerais, et vous vous êtes défilé.
Descendez me combattre encore une fois !
Musashi s’arrêta entre deux
rochers, s’appuya contre l’un d’eux, et regarda fixement Gonnosuke en silence.
Comprenant par là qu’il ne viendrait pas, Gonnosuke dit à sa mère :
— ... Attends ici. Je monte
là-haut le jeter en bas. Regarde un peu.
— Halte ! gronda sa
mère, à califourchon sur la vache. Voilà ce qui ne va pas, avec toi. Tu es
impatient. Il faut apprendre à lire les pensées de ton ennemi avant de voler au
combat. Imagine qu’il te lance une grosse pierre dessus, qu’est-ce que tu dirais ?
Musashi entendait leurs voix, mais
les paroles n’étaient pas nettes. Pour ce qui le concernait, il avait déjà
gagné ; il comprenait déjà comment Gonnosuke se servait de son bâton. Ce
qui le bouleversait, c’était leur amertume et leur désir de revanche. Si
Gonnosuke perdait à nouveau, ils en éprouveraient d’autant plus de
ressentiment. Depuis son aventure avec la Maison de Yoshioka, Musashi
connaissait la folie de prendre part à des duels qui menaient à une hostilité
encore plus grande. Et puis, il y avait la mère de cet homme, en qui Musashi
voyait une seconde Osugi, une femme qui aimait aveuglément son fils et
nourrirait une éternelle rancune envers quiconque lui porterait tort. Musashi
fit demi-tour et se mit à grimper.
— Attendez !
Retenu par la force de la voix de
la vieille femme, Musashi s’arrêta et se retourna.
Elle descendit de sa monture et
s’avança jusqu’au pied de la falaise. Une fois certaine d’avoir obtenu son
attention, elle s’agenouilla, posa les deux mains à terre et s’inclina profondément.
Musashi n’avait rien fait pour
qu’elle s’humiliât devant lui mais, du sentier caillouteux, il lui rendit de
son mieux sa révérence. Il tendit la main comme afin de la relever.
— ... Bon samouraï !
cria-t-elle. J’ai honte de paraître ainsi devant vous. Je suis sûre que vous
n’avez que mépris pour mon entêtement. Mais je n’agis ni par haine, ni par
méchanceté ni par mauvaise volonté. Je vous prie de prendre pitié de mon fils.
Voilà dix ans qu’il s’exerce tout seul : ni maîtres, ni amis, ni adversaires
vraiment dignes de lui. Je vous supplie de lui donner une autre leçon dans
l’art du combat.
Musashi écoutait en silence.
— ... Je serais consternée de
vous voir nous quitter ainsi, continua-t-elle avec émotion. La performance de
mon fils, avant-hier, ne valait rien. S’il ne fait pas quelque chose pour
prouver sa valeur, ni lui ni moi ne pourrons regarder en face nos ancêtres. En
cet instant, il n’est rien de plus qu’un fermier qui a perdu un combat. Etant
donné qu’il a eu la chance de rencontrer un guerrier de votre stature, il
serait grand dommage pour lui de ne point profiter de cette expérience. Voilà
pourquoi je l’ai amené ici. Je vous implore d’écouter mes supplications et de relever
son défi.
Son discours achevé, elle
s’inclina de nouveau, presque comme si elle se fût prosternée aux pieds de
Musashi. Il descendit la colline, lui prit la main et l’aida à remonter sur la
vache.
— Gonnosuke, dit-il, prenez
la corde. Discutons en marchant de cette affaire. Je vais réfléchir à la
question de savoir si je veux ou non vous combattre.
Musashi marchait légèrement devant
eux, et, bien qu’il eût proposé de discuter la question, ne soufflait mot.
Gonnosuke ne quittait pas le dos de Musashi de son regard soupçonneux ; de
temps à autre, il donnait sans y penser un petit coup aux pattes de la vache.
Sa mère avait l’air anxieuse, inquiète. Peut-être avaient-ils parcouru un
kilomètre et demi quand Musashi poussa un grognement et se retourna.
— ... Je me battrai contre
vous, dit-il.
Lâchant la corde, Gonnosuke
répliqua :
— Etes-vous prêt
maintenant ?
Il regarda autour de lui pour
vérifier sa position, comme disposé à en découdre sur-le-champ. Sans tenir
compte de lui, Musashi s’adressa à sa
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