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La Pierre angulaire

La Pierre angulaire

Titel: La Pierre angulaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Zoé Oldenbourg
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grande misère de la guerre. Et il eût bien mieux aimé faire la guerre en pays païen, puisque aussi bien c’était une croisade et que l’ordre était de ne pas faire de quartier. Il savait bien qu’un homme qui sert est tenu de porter les armes contre tout ennemi de son seigneur, fût-ce un parent et un ami. Et il était au service du Seigneur des seigneurs. Puisque rémission des péchés était promise à tout homme qui ferait ses quarante jours, il fallait bien croire que c’était vraiment une guerre sainte. À un homme d’armes, on ne demande que l’obéissance.
    C’était bien plus facile pour les Allemands de se battre sans réfléchir, eux qui ne savaient pas un mot de la langue du pays et baragouinaient entre eux en leur dur jargon du Nord. Et même bien des Français et des Picards détestaient les gens du Midi à l’égal de païens. Il y avait eu trop de sang versé, depuis trois ans. Le pays résistait sourdement. Dans les places conquises les garnisons n’étaient pas en sûreté ; les croisés, étrangers dans le pays, restaient toujours sous la menace d’embuscades et de trahisons. L’enthousiasme du début était déjà quelque peu retombé. Le sac de Béziers avait sans doute été, en fin de compte, profitable à la cause de Dieu ; c’était quand même un objet de scandale pour bien des croisés, tout bons chrétiens qu’ils fussent. Jamais, disaient-ils, même en pays païen, on n’a fait de pareil carnage. Et on se demandait s’il était juste de faire la guerre pour enrichir le comte de Montfort aux dépens du seigneur légitime du pays – quel qu’il fût, il était quand même comte, et tenait son fief du roi, et héritait de ses aïeux ; et c’était là un droit d’homme libre que personne ne pouvait lui retirer.
    Parmi les Champenois, beaucoup gardaient encore des sympathies pour les Anglais, lesquels prenaient le parti du comte de Toulouse. On commençait à dire : « Il n’est pas étonnant que Simon mette tant de zèle à servir Dieu, puisque en servant Dieu il se sert si bien lui-même. » Et les vieux, les revenants de Terre sainte, disaient aussi : « De notre temps, on mettait la croix sur l’épaule, pour donner de la force au bras, et à présent on la met sur la poitrine pour se protéger des coups. Les jeunes gens d’aujourd’hui sont bien dégénérés. »
    De fait, pour les jeunes gens la guerre était plutôt décevante, il n’y avait guère de vraies batailles cet été-là. Des escarmouches contre des troupes assez mal armées, des occupations de châteaux qui se rendaient sans coup férir. Le pays était plein de routiers qui pillaient et massacraient le pauvre peuple, et il y avait des troupes de croisés qui en faisaient autant, s’il leur arrivait de se convaincre qu’ils se trouvaient dans un village d’hérétiques : il fallait bien détruire l’hérésie là où elle se trouvait, et certains avaient trop de zèle pour la bonne cause pour se contenter de tenir garnison dans des châteaux abandonnés.
    Les routes étaient encombrées de paysans sinistrés, de mendiants, de soudards licenciés ; des lueurs d’incendies montaient des villages, et c’était une grande pitié de voir un si beau pays réduit en cet état.
    Près de Castres, les hommes du baron de Chantemerle eurent pourtant la chance de tomber sur une troupe du comte de Toulouse et de livrer bataille. Les Toulousains étaient plus nombreux, mais moins bien équipés que les croisés, et de plus, ils avaient été pris à l’improviste et la bataille fut plutôt sanglante pour eux. Ils y perdirent plus de vingt hommes. Pour Haguenier, c’était sa première bataille, il n’avait jamais encore tué d’hommes ni vu de lance de combat dirigée contre lui ; et cette idée l’affolait tellement qu’il oubliait tout à fait pour quoi et pour qui il combattait. Il se disait seulement que si, ce jour-là, il ne frappait pas quelque coup tout à fait extraordinaire, il serait à jamais déconsidéré aux yeux des siens, et attirerait le mépris sur sa famille. Et par malheur pour lui, Pierre en pensait autant, et la plupart des autres jeunes Champenois étaient exactement dans le même état d’esprit, si bien que tous, ils étaient presque prêts à jeter hors de selle le camarade qui se trouverait pris entre eux-mêmes et l’ennemi, pour pouvoir frapper les premiers. Ils s’étaient jetés sur les Toulousains avec une telle précipitation que ceux-ci durent

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