La pierre et le sabre
paroles. En tout
cas, attendez jusqu’à demain, et j’irai avec vous à la recherche de votre mère.
Avant de faire quoi que ce soit, vous devez la consulter. En attendant,
amusons-nous. Que ça vous plaise ou non, vous allez rester ici boire avec moi.
Comme il s’agissait d’un bordel et
que Kojirō était l’hôte payant, les femmes vinrent toutes à sa rescousse.
Le kimono de Matahachi n’arrivait pas, et au bout de quelques coupes, il cessa
de le réclamer. A jeun, Matahachi n’était pas à la hauteur de Kojirō.
Ivre, il risquait de constituer une certaine menace. Quand tomba la nuit, il
démontrait à tous et à chacun combien il était capable de boire, en exigeait
davantage, disait tout ce qu’il ne fallait pas dire, donnait libre cours à tous
ses ressentiments – bref, se révélait un véritable fléau. Il fallut
attendre l’aube pour qu’il fût ivre mort, et midi pour qu’il reprît ses esprits.
La pluie de l’après-midi précédent
paraissait rendre le soleil d’autant plus brillant. Les propos de Musashi lui
résonnant dans la tête, Matahachi souhaitait ardemment éliminer la moindre
goutte qu’il avait bue. Par chance, Kojirō dormait encore dans une autre
chambre. Matahachi descendit sur la pointe des pieds l’escalier, se fit
restituer son kimono par les femmes, et s’élança vers Seta.
Sous le pont, l’eau rouge et boueuse
était abondamment parsemée de fleurs tombées des cerisiers d’Ishiyamadera. L’orage
avait brisé les glycines, et répandu partout des fleurs jaunes de kerria.
Après de fastidieuses recherches,
Matahachi se renseigna au salon de thé ; on lui répondit que l’homme à la
vache avait attendu jusqu’à la fermeture du salon pour la nuit, puis s’était
rendu dans une auberge. Il était revenu dans la matinée, mais, ne trouvant pas
son ami, avait laissé un mot attaché à une branche de saule.
Ce mot, qui ressemblait à un grand
papillon blanc, disait : « Je regrette de n’avoir pu attendre
davantage. Rattrape-moi en chemin. Je te guetterai. »
Matahachi prit à bonne allure le
Nakasendo, la grand-route menant par Kiso à Edo ; mais en atteignant
Kusatsu, il n’avait pas encore rattrapé Musashi. Après avoir traversé Hikone et
Toriimoto, il commença de soupçonner qu’il l’avait manqué en chemin, et lorsqu’il
arriva au col de Suribachi, il attendit une demi-journée sans quitter la route
des yeux.
Quand il atteignit la route de
Mino, les paroles de Kojirō lui revinrent enfin.
« Ai-je été la dupe de
Musashi, après tout ? se demanda-t-il. Musashi n’avait-il vraiment pas la
moindre intention de m’accompagner ? »
Après maints retours sur ses pas
et investigations de routes secondaires, il finit par apercevoir Musashi tout
près de la ville de Nakatsugawa. Il fut d’abord empli de joie, mais quand il
fut assez près pour voir que la personne qui montait la vache était Otsū,
la jalousie s’empara aussitôt de lui sans réserve.
« Quel imbécile j’ai été,
gronda-t-il, depuis le jour où ce gredin m’a embobiné pour que j’aille à
Sekigahara jusqu’à cette minute même ! Eh bien ! il ne me piétinera
pas toujours comme ça. D’une manière ou d’une autre, je me vengerai de lui – et
sans tarder ! »
Les chutes d’eau
masculine et féminine
— Hou, qu’il fait chaud !
s’exclama Jōtarō. Jamais je n’ai transpiré comme ça sur une route de
montagne. Où sommes-nous ?
— Près du col de Magome,
répondit Musashi. Il paraît que c’est la partie la plus pénible de la
grand-route.
— Eh bien, je n’en sais rien,
mais j’en ai par-dessus la tête. Je serai content d’arriver à Edo. Beaucoup de
monde, là-bas – n’est-ce pas, Otsū ?
— Oui, mais je ne suis point
pressée d’y arriver. J’aimerais mieux passer mon temps à voyager sur une route
solitaire comme celle-ci.
— Parce que vous êtes sur la
vache. Vous penseriez différemment si vous marchiez. Regardez ! Il y a une
cascade, là-bas.
— Prenons un peu de repos,
dit Musashi.
Le trio se fraya un chemin le long
d’un étroit sentier. Tout autour, le sol était couvert de fleurs sauvages,
encore humides de rosée. En arrivant à une cabane abandonnée, sur une falaise
qui dominait les chutes d’eau, ils s’arrêtèrent. Jōtarō aida Otsū
à descendre de la vache, puis attacha l’animal à un arbre.
— Regardez, Musashi, dit Otsū.
Elle désignait un écriteau où
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