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La Reine étranglée

La Reine étranglée

Titel: La Reine étranglée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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j’avais demandé bonne chère ?
    — C’est miracle encore,
Monseigneur, qu’on ait pu trouver cela, par ce temps de famine, répondit
Lalaine.
    — Temps de famine pour les
gueux, peut-être, qui sont si fainéants qu’ils voudraient que la terre produise
sans qu’ils aient à la creuser ; mais non pour les gens de bien ! Je
n’aurai jamais fait si petit menu depuis le temps que je tétais au sein.
    Les prisonnières regardaient avec
des yeux de jeunes fauves ces victuailles étalées que d’Artois affectait de
mépriser. Blanche en avait les larmes au bord des paupières. Et les trois
soldats aussi contemplaient la table, avec des yeux de convoitise émerveillée.
    Gros-Guillaume, qui n’était gras que
de seigle bouilli, s’approcha prudemment pour tailler le pain, car il servait
ordinairement le dîner du capitaine.
    — Non ! hurla d’Artois, ne
touche point mon pain de tes sales pattes. Nous trancherons nous-mêmes. Fuyez,
avant que je ne me fâche !
    Une fois les archers disparus il
ajouta, se voulant facétieux :
    — Allons ! Je vais
m’habituer un peu à la vie de prison. Qui sait ?…
    Il invita Marguerite à s’asseoir sur
la chaise à dossier.
    — Blanche et moi nous siégerons
sur ce banc, dit-il.
    Il versa le vin et, levant son
gobelet devant Marguerite, lança :
    — Vive la reine !
    — Ne vous moquez point de moi,
mon cousin, dit Marguerite de Bourgogne. C’est manquer de charité.
    — Je ne me moque point. Entendez
mes paroles pour ce qu’elles veulent dire. Vous êtes reine de fait, ce jour
encore… et je vous souhaite de vivre, tout simplement.
    Là-dessus le silence tomba, car ils
se mirent à dîner. Tout autre que Robert se fût ému de voir les deux femmes se
jeter sur les mets comme des pauvresses. Elles ne cherchaient même pas à
feindre la retenue, et lampaient le potage et mordaient au pâté sans presque
prendre le temps de respirer.
    D’Artois avait piqué le lièvre au
bout de sa dague, et le présentait aux braises de la cheminée pour le
réchauffer. Ce faisant, il continuait d’observer ses cousines, et un rire gras
lui montait à la gorge. « Je poserais leurs écuelles à terre qu’elles se
mettraient à quatre pattes pour les lécher. »
    Elles buvaient le vin du capitaine
comme si elles avaient voulu compenser d’un coup sept mois d’eau de
citerne ; le sang leur montait aux joues. « Elles vont être malades,
pensait d’Artois, et finir cette belle journée en vomissant leurs
tripes. »
    Lui-même mangeait pour une escouade.
Son prodigieux appétit, qu’il tenait de famille, n’était pas légende, et il
aurait fallu couper en quatre chacune de ses bouchées pour les offrir à un
gosier normal. Il dévorait l’oie confite ainsi que d’ordinaire on grignote les
grives, en mâchant les os. Il s’excusa, modeste, de n’en pas user de même avec
la carcasse du lièvre.
    — Les os de lièvre,
expliqua-t-il, se brisent en biseau et déchirent les entrailles.
    Quand enfin chacun fut repu,
d’Artois fit un signe à Blanche, l’invitant à se retirer. Elle se leva sans se
faire prier, encore qu’elle eût les jambes un peu fléchissantes. La tête lui
tournait, et elle semblait en grand besoin de trouver un lit. Robert eut alors,
exceptionnellement, une pensée charitable. « Si elle sort ainsi au froid,
elle va crever. »
    — A-t-on fait aussi du feu chez
vous ? demanda-t-il.
    — Oui, merci, mon cousin,
répondit Blanche. Notre vie est vraiment toute changée, grâce à vous. Ah !
Je vous aime, mon cousin… vraiment je vous aime bien… Vous le direz à Charles,
n’est-ce pas… vous lui direz que je l’aime… qu’il me pardonne puisque je
l’aime.
    Elle aimait tout le monde dans le
moment présent. Elle était gentiment saoule, et manqua s’étaler dans
l’escalier. « Si je ne cherchais ici que mon divertissement, pensa
d’Artois, celle-là ne me ferait guère de résistance. Donnez du vin en
suffisance à une princesse ; vous ne tarderez point à la voir se conduire
en ribaude. Mais l’autre aussi me paraît cuite à point. »
    Il rechargea le feu d’une grande
bûche, remplit les gobelets pour Marguerite et pour lui-même.
    — Alors, ma cousine, dit-il,
avez-vous réfléchi ?
    Marguerite semblait tout amollie par
la chaleur autant que par le vin.
    — J’ai réfléchi, Robert, j’ai
réfléchi. Et je crois bien que je vais refuser, répondit-elle en rapprochant sa
chaise du foyer.
    — Allons,

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