La Reine étranglée
neveu Guccio Baglioni contemplaient le colosse abattu.
— J’aurai vu cela, j’aurai vu
cela… murmurait le capitaine des Lombards.
Il n’affichait pas, comme
Monseigneur de Valois du haut de la fenêtre à balustrade, un triomphe
ostentatoire ; mais sa joie non plus ne se teintait pas de mélancolie. Il
éprouvait une bonne satisfaction bien simple et sans mélange. Tant de fois,
sous le gouvernement de Marigny, les banquiers italiens avaient tremblé pour
leurs biens et même pour leur peau ! Messer Tolomei, un œil ouvert,
l’autre fermé, respirait l’air de la délivrance.
— Cet homme-là vraiment n’était
pas notre ami, dit-il. Les barons se font gloire de sa chute ; mais nous
avons pris bonne part à ce travail. Et toi-même, Guccio, tu m’y as bien aidé.
Je tiens à t’en récompenser, et à t’associer mieux à nos affaires. As-tu
quelque souhait ?
Ils s’étaient mis à marcher entre
les éventaires des merciers. Guccio abaissa son nez mince et ses cils noirs.
— Oncle Spinello, je voudrais
gérer le comptoir de Neauphle.
— Eh quoi ! s’écria
Tolomei tout surpris. Est-ce là ton ambition ? Un comptoir de campagne,
qui fonctionne avec trois commis bien suffisants pour leur tâche ? Tu as
de petits rêves !
— J’aime assez ce comptoir, dit
Guccio, et je suis sûr qu’on pourrait fort l’agrandir.
— Et je suis bien sûr, moi,
répondit Tolomei, que c’est l’amour plutôt que la banque qui t’attire de ce
côté… La demoiselle de Cressay, n’est-ce pas ? J’ai vu les comptes. Non
seulement ces gens-là sont nos débiteurs, mais en plus nous les nourrissons.
Guccio regarda Tolomei et vit qu’il
souriait.
— Elle est belle comme aucune,
mon oncle, et de bonne noblesse.
— Ah ! soupira le banquier
en élevant les mains. Une fille de noblesse ! Tu vas te mettre dans de
gros ennuis. La noblesse, tu sais, est toujours prête à nous prendre de
l’argent, mais guère à laisser son sang se mêler au nôtre. La famille est-elle
d’accord ?
— Elle le sera, mon oncle, je
suis certain qu’elle le sera. Les frères me traitent comme un des leurs.
Traînée par deux chevaux de trait,
la statue de Marigny sortait de la Galerie mercière. Les maçons enroulaient
leurs cordes et la foule se dispersait.
— Marie m’aime autant que je
l’aime, reprit Guccio, et vouloir nous faire vivre l’un sans l’autre, c’est
vouloir nous faire mourir ! Avec les gains nouveaux que je tirerai de
Neauphle, je pourrai réparer le manoir, qui est beau, je vous assure, mais qui
mérite un peu de travail, et vous viendrez vivre dans un château, mon oncle,
comme un vrai seigneur.
— Moi, tu sais, je n’aime pas
la campagne, dit Tolomei. S’il m’arrive une fois l’an d’avoir affaire à
Grenelle ou à Vaugirard, je m’y sens au bout du monde et vieux de cent ans…
J’avais rêvé pour toi une autre alliance, avec une fille de nos cousins Bardi…
Il s’interrompit un instant.
— Mais c’est mal aimer ceux
qu’on aime que de vouloir faire leur bonheur malgré eux. Va, mon garçon, va
t’occuper de Neauphle. Et marie-toi comme il te plaît. Les Siennois sont des
hommes libres, et l’on doit choisir son épouse selon son cœur. Mais amène ta
belle à Paris le plus tôt que tu pourras. Elle sera bien accueillie sous mon
toit.
— Merci, oncle Spinello !
dit Guccio en se jetant à son cou.
Le comte de Bouville, sortant de
chez le roi, traversait alors la Galerie mercière. Le gros homme avançait de ce
pas ferme qu’il prenait lorsque le souverain lui avait fait l’honneur de lui
donner un ordre.
— Ah ! Ami Guccio !
s’écria-t-il en apercevant les deux Italiens. C’est chance que de vous
rencontrer ici. J’allais dépêcher un écuyer à vous quérir.
— Que puis-je pour vous servir,
messire Hugues ? dit le jeune homme. Mon oncle et moi sommes tout à vous.
Bouville souriait à Guccio avec une
réelle expression d’amitié.
— Je vous apprends une bonne
nouvelle ; oui, une très bonne nouvelle. J’ai dit au roi vos mérites et
combien vous m’étiez utile…
Le jeune homme s’inclina, en signe
de remerciement.
— Alors, ami Guccio, nous
repartons pour Naples.
FIN
RÉPERTOIRE
BIOGRAPHIQUE
Les souverains apparaissent dans ce
répertoire au nom sous lequel ils ont régné ; les autres personnages à
leur nom de famille ou de fief principal. Nous n’avons pas fait mention de
certains personnages
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