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La Reine étranglée

La Reine étranglée

Titel: La Reine étranglée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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dressant leurs échelles sur le devant du gibet, du côté
de Paris, ils suspendirent aux chaînes, pour l’y laisser pourrir entre les
charognes de malfaiteurs inconnus, l’un des plus grands ministres que la France
ait jamais eus.
     

VII

LA STATUE ABATTUE
    Dans l’obscurité de Montfaucon où les
chaînes grinçaient, des voleurs, la nuit suivante, dépendirent le mort illustre
pour le dépouiller ; au matin, on trouva le corps de Marigny couché nu sur
la pierre.
    Monseigneur de Valois, qui était
encore au lit quand on l’en vint avertir, commanda de rhabiller le cadavre et
de le rependre. Puis lui-même se vêtit et, bien vivant, mieux vivant que
jamais, tout gonflé de sa force intacte, il partit se mêler au mouvement de la
ville, au trafic des hommes, à la puissance des rois.
    En compagnie du chanoine de Mornay,
son ancien chancelier, qu’il avait fait nommer garde des Sceaux de France, il
gagna le palais de la Cité.
    Dans la Galerie mercière, marchands
et badauds observaient quatre ouvriers maçons, perchés sur un échafaudage, et
qui descellaient la grande statue d’Enguerrand de Marigny. Elle tenait à la
muraille, non seulement par le socle, mais par le dos. Les pics et les burins
frappaient la pierre qui volait en éclats blancs.
    Une fenêtre intérieure, qui donnait
vue sur l’ensemble de la Galerie, s’ouvrit ; Valois et le chancelier
apparurent à la balustrade. Les badauds, apercevant leurs nouveaux maîtres,
ôtèrent leurs bonnets.
    — Continuez, bonnes gens,
continuez à regarder ; c’est bon travail que l’on fait là, lança Valois en
adressant à la petite foule un geste engageant.
    Puis, se tournant vers Mornay, il
lui demanda :
    — Avez-vous achevé l’inventaire
des biens de Marigny ?
    — J’ai achevé, Monseigneur, et
le compte en est assez gras.
    — Je n’en doute point, dit
Valois. Ainsi le roi va se trouver en fonds pour récompenser ceux qui l’ont
servi en cette affaire, dit Valois. Tout d’abord j’exige retour de ma terre de
Gaillefontaine que le coquin m’avait prise par duperie dans un mauvais échange.
Cela n’est point récompense ; c’est justice. D’autre part, il conviendrait
que mon fils Philippe disposât enfin d’un hôtel en propre et qu’il eût son
train personnel. Marigny possédait deux maisons, celle des Fossés-Saint-Germain
et celle de la rue d’Autriche. J’incline pour la seconde… Je sais aussi que le
roi veut faire quelque libéralité à Henriet de Meudon, son veneur, qui lui
ouvre ses paniers à colombes ; notez donc ce désir. Ah ! Surtout
n’oubliez pas que Monseigneur d’Artois attend depuis cinq ans les revenus de
son comté de Beaumont. C’est l’occasion de lui en remettre une part. Le roi a
de grandes dettes envers notre cousin d’Artois.
    — Le roi va devoir aussi, dit
le chancelier, offrir à sa nouvelle épouse les présents d’usage, et il semble
décidé, dans l’amour qu’il a, aux plus grandes largesses. Or sa cassette n’est
guère en état d’y subvenir. Ne pourrait-on prendre sur les biens de Marigny les
faveurs qui seront attribuées à notre nouvelle reine ?
    — C’est sagement pensé, Mornay.
Préparez un partage en ce sens, où vous placerez ma nièce de Hongrie en tête
des bénéficiaires ; le roi ne pourra qu’y souscrire.
    Valois, tout en parlant, continuait
de regarder le travail des maçons.
    — Bien sûr, Monseigneur, reprit
le chancelier, je me garderai de rien demander pour moi-même…
    — Et en cela, vous agirez bien,
Mornay, car de méchants esprits auraient beau jeu de dire qu’en poursuivant
Marigny, vous ne cherchiez que votre profit. Faites donc grossir un peu ma
part, afin que je vous puisse gratifier à proportion de vos mérites… Ah !
Elle a bougé ! ajouta Valois en pointant le doigt vers la statue.
    La grande effigie de Marigny était
maintenant complètement décollée du mur ; on l’entourait de cordes. Valois
posa sa main baguée sur le bras du chancelier.
    — L’homme en vérité est
créature étrange, dit-il. Savez-vous que soudain j’éprouve comme un vide de
l’âme ? J’avais si fort accoutumé de haïr ce méchant qu’il me semble à
présent qu’il va me manquer…
    À l’intérieur du Palais,
Louis X, dans le même moment, achevait de se faire raser. Auprès de lui se
trouvait dame Eudeline, rose et fraîche, tenant par la main une enfant de dix
ans, blonde, un peu maigre, intimidée, et qui ne savait pas que ce roi,

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