Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La Reine étranglée

La Reine étranglée

Titel: La Reine étranglée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
Vom Netzwerk:
dont on
séchait le menton à l’aide de toiles chaudes, était son père.
    La première lingère du Palais
attendait, émue, pleine d’espoir, d’apprendre la raison pour laquelle Louis les
avait mandées, elle et sa fille.
    Le barbier sortit, emportant bassin,
rasoirs et onguents.
    Le roi de France se leva, secoua ses
longs cheveux autour de son col et dit :
    — Mon peuple est content,
n’est-il pas vrai, Eudeline, que j’aie fait pendre Marigny ?
    — Certes, Monseigneur Louis…
Sire, je veux dire. Chacun se plaît à croire que les temps du malheur sont
finis…
    — C’est bien, c’est bien. Je
veux qu’il en soit ainsi.
    Louis X traversa la chambre, se
pencha sur un miroir, étudia son visage quelques instants, se retourna.
    — Je t’avais promis d’assurer
l’établissement de cette enfant… Elle s’appelle Eudeline, comme toi…
    Des larmes d’émotion vinrent aux
yeux de la lingère ; et elle pressa légèrement l’épaule de sa fille.
Eudeline la petite s’agenouilla pour entendre de la bouche souveraine, l’annonce
des bienfaits.
    — Sire, cette enfant vous
bénira jusqu’à son dernier jour en ses prières…
    — C’est justement ce que j’ai
décidé, répondit le Hutin. Qu’elle prie. Elle entrera en religion, au couvent
de Saint-Marcel qui est réservé aux filles nobles, et où elle sera mieux que
nulle part.
    La stupeur parut sur les traits
d’Eudeline la mère.
    — Est-ce donc cela, Sire, que
vous voulez pour elle ? La cloîtrer ?
    — Eh quoi ? N’est-ce pas
un bon établissement ? dit Louis. Et puis il faut que cela soit ;
elle ne saurait rester dans le monde. Et je trouve bon pour notre salut et pour
le sien qu’elle rachète par une vie de piété la faute que nous avons commise en
sa naissance. Quant à toi…
    — Monseigneur Louis,
m’enfermerez-vous aussi au cloître ? demanda Eudeline avec effroi.
    Comme le Hutin avait changé, en peu
de temps ! Elle ne retrouvait plus rien, en ce roi qui dictait ses ordres
d’un ton sans réplique, ni de l’adolescent inquiet auquel elle avait appris
l’amour, ni du pauvre prince, grelottant d’angoisse, d’impuissance et de froid,
qu’elle avait encore réchauffé dans ses bras un soir de l’hiver passé. Les yeux
seuls gardaient leur expression fuyante.
    — Pour toi, dit-il, je vais te
donner charge de surveiller à Vincennes le meuble et le linge, pour que tout
soit prêt chaque fois que j’y viendrai.
    Eudeline hocha la tête. Cet
éloignement du Palais, cet envoi dans une résidence secondaire, elle les
ressentait comme une offense. N’était-on pas satisfait de la façon dont elle
tenait son office ? En un sens, elle eût mieux accepté le couvent ;
son orgueil eût été moins blessé.
    — Je suis votre servante et
vous obéirai, répondit-elle froidement.
    Elle invita Eudeline la petite à se
relever et lui reprit la main.
    Au moment de franchir la porte, elle
aperçut le portrait de Clémence de Hongrie posé sur une crédence, et
demanda :
    — C’est elle ?
    — C’est la prochaine reine de
France, répondit Louis X non sans hauteur.
    — Soyez donc heureux, Sire, dit
Eudeline en sortant.
    Elle avait cessé de l’aimer.
    « Certes, certes, je vais être
heureux », se répétait Louis, marchant à travers la chambre où le soleil
entrait à grands rayons.
    Pour la première fois depuis son
avènement, il se sentait pleinement satisfait et sûr de soi. Il s’était délivré
de son épouse infidèle, délivré du trop puissant ministre de son père ; il
éloignait du Palais sa première maîtresse et envoyait sa fille naturelle au
couvent [17] .
    Tous les chemins nettoyés, il
pouvait maintenant accueillir la belle princesse napolitaine, et se voyait déjà
vivre auprès d’elle un long règne de gloire.
    Il sonna le chambellan de service.
    — J’ai fait mander messire de
Bouville. Est-il arrivé ?
    — Oui, Sire ; il attend
vos ordres.
    À ce moment les murs du Palais
vibrèrent sous un choc sourd.
    — Qu’est ceci ? demanda le
roi.
    — La statue, je pense, Sire,
qui vient de tomber.
    — C’est bien… Dites à Bouville
d’entrer.
    Et il se disposa à recevoir l’ancien
grand chambellan.
    Dans la Galerie mercière, la statue
d’Enguerrand gisait sur le pavement. Les cordes avaient glissé un peu vite, et
les vingt quintaux de pierre avaient brutalement heurté le sol. Les pieds
étaient rompus.
    Au premier rang des badauds,
Spinello Tolomei et son

Weitere Kostenlose Bücher