La Revanche de Blanche
Louise. Ton récit m’a donné l’idée de demander à la Voisin de m’aider à devenir la favorite. Ce fut une révélation. J’avais été élevée dans la religion chrétienne ; mes prières n’étaient pas exaucées. Elle m’a redonné confiance, m’a montré la puissance du Prince des ténèbres. À ses yeux, je n’étais plus coupable, au contraire : je donnais libre cours aux forces vives qui m’animaient. Je m’inscrivais dans la lignée de l’idéal de beauté, de quête de l’Amour pur des Cathares. Ce que l’Église appelait le Malin était la passion dans ce qu’elle a de plus extrême. J’avais enfin le droit de céder à mes instincts. Asmodée me transmettrait ce que de mauvais prêtres me refusaient. Souviens-toi : Catherine Monvoisin m’a conseillé de t’adopter comme ma fille de cœur, ma fille d’élection. Tu incarnais le bien, l’innocence. Pour t’amadouer, j’ai infiltré lentement en toi une dose suffisante et nécessaire de poison qui t’immuniserait… Je savais qu’ainsi tu ne parlerais pas, que tu me suivrais jusqu’au bout. Pour te garder auprès de moi, j’ai fait en sorte que tu plaises à Louis, que tu t’attaches à lui, comme un poulpe enroulé à ses chausses. Magnanime, j’ai fermé les yeux sur vos petits jeux de mains et le reste.
Si je m’épanche ici, c’est pour faire la lumière sur cette affaire qui m’accable et me punit injustement. Sache que j’ai cru déceler dans ton cœur les ferments qui t’ont conduite à me perdre. Comme toi, ta mère a cru être acceptée dans un monde qui la méprisait. Elle a eu l’audace et la prétention d’égaler des femmes de lettres, au risque d’être bannie de leur cercle. Enfant du péché, tu étais animée par la volonté de te venger. J’ai saisi la perche ; je n’ai pas eu beaucoup de mal à te pousser vers tes inclinaisons naturelles : le mal. Aglaé de Bouillon, la fille de celle par qui les malheurs d’Émilie sont arrivés, était une cible que tu visais, un trompe-l’œil idéal. Je me suis mise dans la peau d’une vieille cuisinière des frères La Motte et j’ai alors écrit une lettre qui m’a beaucoup amusée. Je t’ai poussée à rendre visite à la marquise de Brinvilliers. Tu es devenue la complice d’une meurtrière. Il faut toujours se méfier des comédiennes. Elles savent se jouer de vous et sont mues d’un tel désir de briller qu’elles sont prêtes pour ça à écraser père et mère. Ce fut ton cas. Ton entrée dans la troupe de Molière t’a monté la tête. Tes oncles t’avaient mise en garde. J’ai accentué leur humeur. Malgré mes manœuvres, le faux homme de loi et l’article flatteur à souhait n’ont pas suffi pas à te déstabiliser. Il m’a fallu simuler une agression pour te faire comprendre qu’Aglaé s’acharnait. Cette fois, tu t’es plainte à ton frère. Il est tombé dans la trappe. Aglaé est devenue l’ennemie à abattre. Dans ta petite tête de Bretonne, tu as cru que c’était elle qui t’écrivait des lettres anonymes. Elle qui t’avait dénoncée à la reine : tu étais ferrée. Lorsque tu m’as confié ton penchant pour Antoine, l’idée m’est venue de pousser Aglaé dans ses bras. Tu n’as donc pas eu beaucoup de scrupules à empoisonner la fiancée de La Boissière.
Comment as-tu eu la prétention de briguer ma place ? N’as-tu pas compris que tu n’étais que du menu fretin pour le roi, qu’il ne t’a offert Fontaine-de-Mars que pour te signifier ton congé ? Comme tu persistais, je t’ai concocté, avec mon ami, Hugo, un petit séjour insolite à Ménilmontant dans son bordel, le logement qui te convenait le mieux. Venons-en aux faits, monsieur, reprend Athénaïs en s’adressant à La Roquette. Vous connaissez à présent les raisons qui ont poussé mademoiselle de La Motte à s’adonner à la magie noire et aux sorcelleries : la rancune, la jalousie, la prétention, l’appât du gain, le goût de nuire et j’en passe. Elle va maintenant vous avouer les crimes qu’elle a commis alors qu’elle était ma dame de compagnie. Ma chère Blanche, j’espère que notre ami Gaspard n’aura pas à user de ces instruments qui broieraient tes petits os. Reconnais que tu as rendu visite à la Voisin afin de te procurer des poudres pour raviver le désir du roi. Ne nie pas que tu as eu recours – et toi seule – au père Mariette et à l’abbé Guibourg afin que Satan te permette de me supplanter. Repens-toi
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