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La Ronde De Nuit

La Ronde De Nuit

Titel: La Ronde De Nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Modiano
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Le box-calf a augmenté de 100 francs.
    — Odicharvi m’a parlé de trois tonnes de lainage peigné dont il voudrait se débarrasser. J’ai pensé à vous, Philibert.
    — Que diriez-vous de 36000 jeux de cartes que je vous livre dès demain matin ? Vous pourriez les revendre au prix fort. C’est le moment. Ils ont entamé la Schwerpunkt Aktion depuis le début du mois.
    Ivanoff scrute la paume de la marquise. — Pas un mot ! hurle Violette Morris. Le mage lui prédit l’avenir ! Pas un mot ! — Qu’en pensez-vous, mon petit ? me demande le Khédive. Ivanoff fait marcher les femmes à la baguette ! Sa fameuse baguette des métaux légers ! Elles ne peuvent plus se passer de lui ! Des mystiques, mon cher ! Il en profite ! Vieux clown ! Il s’accoude au rebord du balcon. En bas, c’est une place calme comme il en existe dans le XVI e arrondissement. Les réverbères jettent une drôle de lumière bleue sur les feuillages et le kiosque à musique. — Savez-vous, mon fils, que l’hôtel particulier où nous sommes appartenait avant guerre à Monsieur de Bel-Respiro ? (Sa voix se fait de plus en plus sourde.) J’ai trouvé dans une armoire des lettres qu’il écrivait à sa femme et ses enfants. Il avait le sens de la famille ! Tenez, le voici ! Il désigne un portrait grandeur nature accroché entre les deux fenêtres. — Monsieur de Bel-Respiro lui-même, en uniforme d’officier de spahis ! Regardez toutes ces décorations ! Ça, c’est du Français !
    — Deux kilomètres carrés de rayonne ? propose Baruzzi. Je vous les vendrai pour rien ! Cinq tonnes de biscuits secs ? Les wagons sont immobilisés à la frontière espagnole. Vous obtiendrez très vite les bons de déblocage. Je ne demande qu’une petite commission, Philibert.
    Les frères Chapochnikoff rôdent autour du Khédive sans oser lui parler. Zieff dort la bouche ouverte. Frau Sultana et Violette Morris se laissent bercer par les paroles d’Ivanoff : Flux astral… pentagramme sacré… épis de la terre nourricière… grandes ondes telluriques… paneurythmie incantatoire… Bételgeuse… Mais Simone Bouquereau appuie son front contre la glace…
    — Toutes ces combinaisons financières ne m’intéressent pas, tranche Monsieur Philibert.
    Baruzzi et Hayakawa, désappointés, tanguent jusqu’au fauteuil de Lionel de Zieff et lui tapent sur l’épaule pour le réveiller Monsieur Philibert compulse un dossier, crayon à la main.
    — Voyez-vous, mon cher petit, reprend le Khédive (on dirait vraiment qu’il va fondre en larmes), je n’ai pas reçu d’instruction. J’étais seul quand on a enterré mon père et j’ai passé la nuit couché sur sa tombe. Et cette nuit-là il faisait très froid. À quatorze ans, la colonie pénitentiaire d’Eysses… le bataillon disciplinaire… Fresnes… Je ne pouvais rencontrer que des voyous comme moi… La vie…
    — Réveillez-vous, Lionel ! hurle Hayakawa.
    — Nous avons des choses importantes à vous dire, ajoute Baruzzi.
    — Nous vous procurons quinze mille camions et deux tonnes de nickel si vous nous versez un courtage de quinze pour cent. Zieff cligne des yeux, et s’éponge le front avec un mouchoir bleu ciel. — Tout ce que vous voulez, pourvu qu’on s’empiffre à s’en faire péter le ventre. Vous ne trouvez pas que j’ai engraissé depuis deux mois ? Ça fait plaisir, par ces temps de restrictions. Il se dirige pesamment vers le canapé et glisse une main dans le corsage de Frau Sultana. Celle-ci se débat et le gifle de toutes ses forces. Ivanoff pousse un petit ricanement. — Tout ce que vous voudrez, mes cocos, répète Zieff d’une voix éraillée. Tout ce que vous voudrez. — C’est d’accord pour demain matin, Lionel ? demande Hayakawa. Je peux en parler à Schiedlausky ? Nous vous offrons un wagon de caoutchouc en prime.
    Monsieur Philibert, assis au piano, égrène pensivement quelques notes.
    — Pourtant, mon petit, reprend le Khédive, j’ai toujours eu soif de respectabilité. Ne me confondez pas, s’il vous plaît, avec les personnes qui sont ici…
    Simone Bouquereau se maquille devant la glace. Violette Morris et Frau Sultana ont les yeux clos. Le mage, apparemment, invoque les astres. Les frères Chapochnikoff se tiennent près du piano. L’un d’eux remonte le métronome, un autre tend une partition à Monsieur Philibert.
    — Lionel de Zieff, par exemple ! chuchote le Khédive. Je vous en raconterai

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