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La Sorcière

La Sorcière

Titel: La Sorcière Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Michelet
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lendemain bien obscurcies dans le souvenir des deux victimes dégrisées. Mais ceux qui avaient vu, agi, oubliaient-ils ?
    Ces actes punissables sentent déjà l'aristocratie. Ils ne rappellent en rien l'antique fraternité des serfs, le primitif sabbat, impie, souillé sans doute, mais libre et sans surprise, où tout était voulu et consenti.
    Visiblement Satan, de tout temps corrompu, va se gâtant encore. Il devient un Satan poli, rusé, douceâtre, d'autant plus perfide et immonde. Quelle chose nouvelle, étrange, au sabbat, que son accord avec les prêtres ? Qu'est-ce que ce curé qui amène sa bénédicte , sa sacristine, qui tripote des choses d'église, dit le matin la messe blanche, la nuit la messe noire ? Satan, dit Lancre, lui recommande de faire l'amour à ses filles spirituelles, de corrompre ses pénitentes. Innocent magistrat ! Il a l'air d'ignorer que depuis un siècle déjà Satan a compris, exploité les bénéfices de l'Église. Il s'est fait directeur. Ou, si vous l'aimez mieux, le directeur s'est fait Satan.
    Rappelez-vous donc, mon cher Lancre, les procès qui commencent dès 1491, et qui peut-être contribuent à rendre tolérant le Parlement de Paris. Il ne brûle plus guère Satan, n'y voyant plus qu'un masque.
    Nombre nonnes cèdent à sa ruse nouvelle d'emprunter le visage d'un confesseur aimé. Exemple cette Jeanne Pothieire, religieuse du Quesnoy, mure, de quarante-cinq ans, mais, hélas ! trop sensible. Elle déclare ses feux à son paler , qui n'a garde de l'écouler, et fuit à Falempin, à quelques lieues de là. Le Diable, qui ne dort jamais, comprend son avantage, et la voyant (dit l'annaliste) « piquée d'épines de Vénus, il prit subtilement la forme dudit Père, et, chaque nuit revenu au couvent, il réussit près d'elle, la trompant tellement, qu'elle déclare y avoir été prise, de compte fait, quatre cent trente-quatre fois 12. ... » On eut grande pitié de son repentir, et elle fut subitement dispensée de rougir, car on bâtit une bonne fosse murée près de là, au château de Selles, où elle mourut en quelques jours, mais d'une très-bonne mort catholique... Quoi de plus touchant ?... Mais tout ceci n'est rien en présence de la belle affaire de Gauffridi, qui a lieu à Marseille pendant que Lancre instrumente à Rayonne.
    Le Parlement de Provence n'eut rien à envier aux succès du Parlement de Bordeaux. La juridiction laïque saisit de nouveau l'occasion d'un procès de sorcellerie pour se faire la réformatrice des mœurs ecclésiastiques. Elle jeta un regard sévère dans le monde fermé des couvents. Rare occasion. Il y fallut un concours singulier de circonstances, des jalousies furieuses, des vengeances de prêtre à prêtre. Sans ces passions indiscrètes, que nous verrons plus lard encore éclater de moments en moments, nous n'aurions nulle connaissance de la destinée réelle de ce grand peuple de femmes qui meurt dans ces tristes maisons, pas un mot de ce qui se passe derrière ces grilles et ces grands murs que le confesseur franchit seul.
    Le prêtre basque que Lancre montre si léger, si mondain, allant, l'épée au côté, danser la nuit au sabbat, où il conduit sa sacristine, n'était pas un exemple à craindre. Ce n'était pas celui-là que l'inquisition d'Espagne prenait tant de peine à couvrir, et pour qui ce corps si sévère se montrait si indulgent. On entrevoit fort bien chez Lancre, au milieu de ses réticences, qu'il y a encore autre chose . Et les états généraux de 1614, quand ils disent qu'il ne faut pas que le prêtre juge le prêtre, pensent aussi à autre chose . C'est précisément ce mystère qui se trouve déchiré par le Parlement de Provence. Le directeur de religieuses, maître d'elles, et disposant de leur corps et de leur âme, les ensorcelant : voilà ce qui apparut au procès de Gauffridi, plus tard aux affaires terribles de Loudun et de Louviers, dans celles que Llorente, que Ricci et autres nous ont fait connaître.
    La tactique fut la même pour atténuer le scandale, désorienter le public, l'occuper de la forme en cachant le fond. Au procès d'un prêtre sorcier, on mit en saillie le sorcier, et l'on escamota le prêtre, de manière à tout rejeter sur les arts magiques et faire oublier la fascination naturelle d'un homme maître d'un troupeau de femmes qui lui sont abandonnées.
    Il n'y avait aucun moyen d'étouffer la première affaire. Elle avait éclaté en pleine Provence, dans ce pays de lumière où

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